Un dépôt de marque est-il un acte de contrefaçon ?
SUJET : DROIT DES MARQUES
Le dépôt d’une marque constitue-t-il en soi un acte de contrefaçon ? Cette question régulièrement soulevée n’obtient pas une réponse uniforme des tribunaux français. La récente décision du tribunal de grande instance de Paris applique la jurisprudence européenne, qui penche en faveur du non. Mais l’insécurité juridique demeure pour les propriétaires de marques.
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Le jugement du tribunal de grande instance de Paris, 7 juin 2018
Dans un litige opposant L’OREAL pour sa filiale Vichy à Guinot, le tribunal de grande instance de Paris a décidé que la vente de cosmétiques NUTRILOGIC constitue la contrefaçon par imitation de la marque NUTRILOGIE. Sont indifférents les arguments suivants :
- une cible différente de consommateurs (femme et homme) ;
- des circuits de distribution différents (en institut de beauté et en parapharmacie) ;
- la vente sous une marque ombrelle (Vichy et Guinot) ;
- des compositions de produits différentes.
Sur ce point, la décision est classique et permet à L’OREAL de percevoir 1 200 000 euros de dommages et intérêts.
En revanche, le dépôt de la marque NUTRILOGIC, en France et dans l’Union Européenne, ne constitue pas un acte de contrefaçon car il ne s’agit pas d’un usage dans la vie des affaires et d’une atteinte aux fonctions essentielles de la marque.
Le tribunal de grande instance s’inscrit ici dans la lignée de la décision ARSENAL FOOTBALL CLUB de la Cour de Justice de l’Union Européenne, du 12 novembre 2002. Revenons sur les divergences de nos tribunaux sur ce point.
Le dépôt d’une marque est-il constitutif d’un acte de contrefaçon ?
Pour retenir la contrefaçon, les textes européens en vigueur, directive et règlement, requièrent un « usage dans la vie des affaires ». Cette exigence est appliquée directement par les tribunaux français avec des divergences d’interprétation. La question du simple dépôt d’une marque est particulièrement problématique : acte préparatoire à une exploitation ou acte de contrefaçon en soi ?
Plusieurs tribunaux français font référence comme ici à la décision ARSENAL de 2002 ou à la décision ANHEUSER-BUSH du 16 novembre 2004 : l’usage dans la vie des affaires implique une activité commerciale et économique. Le seul dépôt de marque est donc insuffisant pour constituer un acte de contrefaçon (cf. TGI Paris 3ème chambre, 12 mai 2016 ou 22 mars 2018 ; CA Versailles 1er décembre 2015).
En revanche, la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris ont adopté une position contraire dans plusieurs affaires en retenant que la contrefaçon était réalisée par le simple dépôt d’une marque : décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 février 2012, décisions de la cour d’appel de Paris 9 septembre 2014 ou 31 mai 2016 ou 26 mai 2017. Elles sont suivies par certains tribunaux (cf TGI Paris, 3ème chambre 22 septembre 2017).
Un éclairage nouveau pourrait être apporté lorsque la CJUE répondra à la récente question préjudicielle posée par la Cour de cassation relative à l’obligation d’exploiter une marque dès son enregistrement et la possibilité d’agir en contrefaçon par imitation sans usage de son titre de propriété industrielle.
Cette insécurité juridique, préjudiciable aux titulaires de marques, mériterait une position claire de la haute juridiction pour mettre un terme à ces hésitations.
Concrètement, en attendant cela, il faut plus que jamais mettre en place une surveillance des publications de marques déposées. Ainsi, les propriétaires de marques peuvent enclencher en amont des procédures d’opposition auprès des offices de propriété intellectuelle.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00