Interdiction du site democratieparticipative.biz : une décision rare en France
SUJET : DROIT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Le procureur de la république a assigné en référé neuf fournisseurs d’accès à internet pour voir cesser l’accessibilité en France d’un site raciste et homophobe, faute de pouvoir poursuivre les responsables. Cette décision rare a une portée symbolique forte mais les possibilités technologiques de contourner une telle interdiction sont malheureusement nombreuses.
Les faits
Le site democratieparticipative.biz diffusait des propos racistes et homophobes de manière récurrente depuis 2016. Après de nombreuses plaintes de citoyens et d’associations, une enquête de plusieurs mois n’a pas permis d’identifier et d’assigner au pénal les responsables : hébergeur, éditeur ou auteur.
Le procureur de la république a donc assigné en référé neufs fournisseurs d’accès internet et télécoms (FAI) pour voir cesser l’accessibilité en France de ce site et/ou l’accessibilité à leurs abonnés de tout site comportant le nom democratieparticipative.biz. Une astreinte de dix mille euros par jour de retard était requise.
Le tribunal de grande instance de Paris rendu une décision favorable le 27 novembre 2018.
Loi LCEN et interdiction d’un site web
L’article 6-I-8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (loi LCEN) prévoit que « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Les premières personnes visées sont les hébergeurs. C’est seulement à défaut de pouvoir identifier un hébergeur que l’autorité judiciaire peut solliciter l’intervention des « personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne».
Sur le site incriminé democratieparticipative.biz, aucune mention légale n’était présente : pas d’éditeur responsable et pas d’hébergeur du site identifié. Les autorités judiciaires ont remonté la trace de l’hébergeur Cloudfare, situé aux Etats-Unis qui s’est retranché derrière le premier amendement de la Constitution américaine et a refusé de coopérer au nom de la liberté d’expression. Les services de police ont également cherché à identifier le propriétaire du nom de domaine, sans succès : il a utilisé la possibilité de rester anonyme en masquant son identité.
Le procureur de Paris a donc décidé d’agir en référé pour faire cesser la menace à l’ordre public, de manière inédite en enjoignant aux FAI de rendre le site inaccessible en France.
Les fournisseurs d’accès et opérateurs telecoms ne sont finalement attaqués que pour leur rôle de transmission. Le procureur les met en cause au regard du principe de subsidiarité, faute de pouvoir incriminer l’auteur ou l’hébergeur. La sauvegarde de l’ordre public implique que les FAI bloquent de manière définitive et illimitée l’accès au site à partir du territoire français et/ou à leur abonnés situés sur en France.
La LCEN a posé un principe de non-responsabilité des FAI pour les contenus circulant sur leurs réseaux, s’ils respectent une neutralité à l’égard de ces contenus. Toutefois, les fournisseurs d’accès doivent mettre en place un système d’alerte et de signalement pour les délits et crimes les plus graves comme l’apologie de crimes contre l’humanité, la pédophilie ou l’incitation à la haine raciale.
Les limites techniques de la décision
Cette première décision est une belle victoire symbolique contre les sites aux propos délictueux. Toutefois, à défaut de pouvoir convaincre l’hébergeur d’arrêter le site, la mesure de blocage en France par les fournisseurs d’accès sera facilement contournée par l’utilisation d’un VPN laissant croire à l’opérateur que l’internaute n’est pas en France ou la modification des serveurs DNS. Il sera également loisible à l’éditeur de ce site de reprendre son activité sous un nouveau nom de domaine. Ce qu’il n’a pas manqué de faire quelques jours seulement après cette décision.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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