2022, entre libération et modernisation des ventes aux enchères

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les ventes aux enchères ont fait l’objet de profondes réformes d’inspiration européenne et libérale. L’axe majeur de ces changements consistait à séparer l’activité de vente aux enchères volontaires, qui est libéralisée, parce qu’elle est essentiellement commerciale, de l’activité des ventes judiciaires, qui reste règlementée, parce qu’elle participe de l’exécution de la justice.

vente aux enchères évolution du secteur

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Dans un premier temps, le secteur des ventes volontaires est essentiellement concerné par ces changements. D’abord, avec la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Ensuite, avec celle du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Ces deux textes sont largement inspirés du droit communautaire. Cette libéralisation des ventes volontaires s’inscrit dans l’intention de sécuriser et de dynamiser le marché de l’art, afin de le rendre davantage concurrentiel, à l’international. L’année 2022 parachève ce processus avec un nouveau texte « visant à moderniser la régulation du marché de l’art ».

Dans un second temps, ces changements portent sur les ventes judiciaires. A compter de juillet 2022, sera créée la nouvelle profession de commissaire de justice qui fusionne commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice.

L’AVENEMENT DE LA NOUVELLE PROFESSION DE COMMISSAIRE DE JUSTICE

Au 1er juillet 2022, la fusion des professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice, sous la nouvelle profession de commissaire de justice, sera effective. Ils assureront les ventes aux enchères judiciaires.

Cette fusion résulte de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui porte le nom d’un ministre ayant poursuivi une belle carrière. Cette réforme vise, en particulier, à libéraliser certaines professions, juridiques et judiciaires, afin de les insérer dans un cadre plus concurrentiel.

La création et l’organisation de cette nouvelle profession est intervenue par étapes

Le calendrier de la réforme

Le 6 août 2015, la loi Macron a donné naissance à la nouvelle profession de commissaire de justice et fixé un calendrier de mise en œuvre. Le 1er janvier 2019, son organisation a débuté avec la création de la Chambre nationale des commissaires de justice, un organisme supervisant l’organisation professionnelle des commissaires de justice.

La fusion des professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice est effective depuis le 1er juillet. Jusqu’à cette date, les deux professions restent distinctes. Cette temporisation devait leur permettre de se préparer et d’acquérir des qualifications complémentaires, afin qu’ils puissent exercer les activités de chacune des deux professions. S’ils remplissent les conditions fixées par décret, ils peuvent mentionner provisoirement leur « qualification » de commissaire de justice.

A compter du 1er juillet, les professionnels qui auront satisfait ces conditions deviendront commissaires de justice et pourront exercer les deux activités sans restriction. A défaut, ils pourront poursuivre leur ancienne activité jusqu’au 1er juillet 2026 uniquement. Après cette date, ils n’auront plus la faculté d’exercer aucune de ces activités.

Aussi est-il essentiel aux actuels commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice, dont les connaissances et compétences différaient nécessairement, de répondre aux nouvelles exigences de formation.

La formation et les compétences requises

Jusqu’à présent, il convenait, pour devenir commissaire-priseur judiciaire, de détenir une double licence en histoire de l’art et en droit, de réussir l’examen d’aptitude spécifique à l’activité de vente judiciaire et d’être habilité à diriger des ventes volontaires. Pour devenir huissier de justice, il fallait être titulaire d’un master 1 de droit, accomplir un stage d’une durée de deux ans et réussir l’examen professionnel.

La formation professionnelle des futurs commissaires de justice, prévue par décret du 15 octobre 2019, est moins étendue. En particulier, seul un master 1 en droit est exigé et l’examen d’accès pour ce qui concerne l’histoire de l’art est limité à une unique épreuve au coefficient de 1 sur 16.

Les professionnels déjà en exercice doivent, quant à eux, suivre une formation minimale afin de pouvoir exercer en tant que commissaire de justice : 60 heures pour les huissiers de justice en droit et pratique de vente de meubles ; 80 heures pour les commissaires-priseurs judiciaires dans les matières liées à l’activité d’huissier de justice.

Ces qualifications permettront aux commissaires de justice d’avoir un champ d’intervention étendu.

L’activité et les missions des commissaires de justice

Les commissaires de justice assureront tant les missions du commissaire-priseur judiciaire – entre autres, inventaires, prisées et ventes aux enchères publiques de meubles corporels ou incorporels prescrits par la loi ou par décision de justice –, que celles de l’huissier de justice – en particulier, exécution des décisions de justice ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire, constats, service des audiences devant les tribunaux.

Ils pourront, par ailleurs, participer aux liquidations judiciaires de faibles ampleurs, à l’égard des entreprises qui ne comptent aucun salarié et dont le chiffre d’affaires est inférieur ou égal à 100.000 euros. La profession de mandataire judiciaire, en charge des liquidations, subsiste. Cela explique que la compétence des commissaires de justice en la matière de liquidation soit restreinte. Initialement, les mandataires judiciaires devaient, eux aussi, intégrer cette nouvelle profession, mais la fusion aurait posé des difficultés, car ils ne sont pas officiers ministériels.

Enfin, certains huissiers de justice qui, avant la réforme de 2016, pouvaient assurer ces ventes judiciaires parce qu’il n’y avait pas d’opérateur de vente dans leur commune, ont depuis la faculté de réaliser également des ventes volontaires, lorsqu’ils ont au préalable suivi une formation spécifique et réussi un examen organisé par le Conseil des Ventes Volontaires. Ces exigences viennent cependant d’être supprimées par la toute nouvelle loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art du 22 février 2022. Les huissiers de justice peuvent ainsi assurer des ventes volontaires sous réserve d’avoir réalisé de 2016 à 2021, alternativement, au moins vingt-quatre ventes volontaires, sur au moins trois années consécutives ou des ventes volontaires pour un total d’adjudications de 230 000 euros.

LA MODERNISATION DU SECTEUR DES VENTES VOLONTAIRES

En discussion depuis plus de deux ans, la loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art a été adoptée le 22 février dernier. Il s’agit moins d’une réforme que d’une adaptation.

Ce texte se concentre, en particulier, sur la refonte du Conseil des Ventes Volontaires, l’actuelle autorité de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Il apporte aussi quelques modifications au régime des ventes.

La refonte du Conseil des Ventes Volontaires, rebaptisé Conseil des Maisons de Vente

La composition du Conseil, outre son nom, est notablement modifiée. Actuellement, il est composé de onze membres, nommés par le Gouvernement : trois représentants des maisons de vente, quatre magistrats, trois personnalités qualifiées et un expert. Les opérateurs de ventes volontaires sont ainsi minoritaires. Avec sa nouvelle composition – six opérateurs de ventes volontaires élus par leurs pairs, et cinq personnes qualifiées, deux nommées par le ministère de la Justice, deux par le ministère de la Culture et un par le ministère de l’Économie –, le Conseil des Maisons de Vente devrait offrir une plus forte représentation de la profession et de sa diversité. La désignation du président du Conseil par le garde des Sceaux s’exercera désormais sur proposition du Conseil des Maisons de Vente.

En tant qu’autorité de régulation, le Conseil conservera son pouvoir disciplinaire et son statut de tribunal disciplinaire de première instance. Afin qu’il puisse mener à bien ses prérogatives, la loi prévoit la création d’un nouvel organe indépendant, la « commission des sanctions » composé de trois membres extérieurs au Conseil – deux magistrats et un opérateur de ventes volontaires ayant cessé d’exercer depuis moins de cinq ans. Un commissaire du Gouvernement sera chargé, en amont, de la médiation et de l’instruction des affaires.

Il est souhaité que le Conseil des Maisons de Vente devienne un véritable acteur de la concertation entre le Gouvernement et les opérateurs de ventes volontaires afin, notamment, que leur profession et leur activité soient promues et soutenues face aux transformations du secteur des ventes volontaires. Dans ce but, la loi du 22 février a modifié certains aspects de la profession d’opérateur de ventes volontaires.

Quelques modifications au régime des ventes volontaires

Le premier changement est sémantique. La création de la profession de commissaire de justice, nécessitait de remodeler celle d’opérateur de ventes volontaires, à commencer par son titre. Ainsi, à la disparition des professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice, le 1er juillet 2026, le titre de « commissaire-priseur » sera attribué aux opérateurs de ventes volontaires uniquement.

Le deuxième, vise à clarifier la traçabilité des œuvres. Le livre de police (qui indique une description de l’objet, la nature, la provenance et le mode de règlement, l’identité des vendeurs) et le répertoire des procès-verbaux des ventes réalisées peuvent être regroupés en un seul document.

Ensuite, les ventes de gré à gré sont favorisées. La loi du 10 juillet 2000 avait, en effet, permis aux opérateurs de ventes volontaires de vendre de gré à gré des biens non adjugés à l’issue des enchères, puis celle du 20 juillet 2011, de procéder à des ventes de gré à gré, indépendamment de toute vente aux enchères. Ce nouveau changement supprime la tenue d’un procès-verbal, les autres mandataires procédant à des ventes de meubles de gré à gré, tels que les galeristes, n’y étant pas soumis. Seule l’obligation d’information préalable du vendeur sur la faculté de recourir à une vente aux enchères est maintenue. C’est l’aboutissement d’une pratique développée par les maisons anglo-saxonnes. A vrai dire, plus grand-chose ne distingue désormais le commissaire-priseur du marchand d’art.

Enfin, la loi nouvelle étend le champ d’intervention des opérateurs de ventes volontaires. Ils ont maintenant la faculté de réaliser des inventaires successoraux et des ventes « surveillées » (ventes de biens sous tutelle), activités initialement réservées aux futurs commissaires de justice. De plus, ils peuvent désormais procéder à des ventes de biens meubles incorporels, l’une des avancées majeures, très attendue, de cette loi. Pourront ainsi être proposés dans le cadre de ventes volontaires, des fonds de commerce, des marques, des brevets ou encore… des fameux non-fungible tokens (NFT) qui défrayent actuellement la chronique.

En dernière minute, le Conseil des Ventes Volontaires a actualisé son recueil déontologique, approuvé par la Chancellerie le 30 mars 2022.

Depuis une vingtaine d’années, les ventes aux enchères auront ainsi connu trois réformes, menant progressivement vers la libéralisation du marché, et des changements de nom (commissaires-priseurs, sociétés de ventes volontaires, opérateurs de ventes volontaires pour redevenir commissaires-priseurs, appellation que le grand public avait d’ailleurs gardée). Il est permis de regretter ce manque d’anticipation législative et d’espérer un peu de constance.

Olivier De Baecque avocat droit de l'art

Olivier DE BAECQUE, avocat associé 

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