L’archéologie préventive a pour objet d’assurer la détection, la conservation ou la sauvegarde, par l’étude scientifique, des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l’aménagement du territoire. Elle est régie par une loi du 17 janvier 2001 qui instaure une subtile balance entre impératifs scientifiques et exécution des aménagements destructeurs des restes du passé. Plusieurs amendements voulaient changer cet équilibre au profit des aménageurs. Ils n’ont pas été votés.
Souvent, archéologie est synonyme de fouilles dans le désert égyptien ou d’anciennes cités grecques. Mais en France, l’archéologie préventive joue un rôle central dans la préservation du patrimoine. Sa spécificité réside dans son déclenchement non pas à l’initiative de la recherche scientifique, mais à l’occasion de projets d’aménagement publics ou privés.
Cette pratique soulève des interrogations sur la conciliation entre préservation du patrimoine et exigences économiques, ce qui explique les tentatives régulières d’assouplissement du cadre légal.
Un régime juridique en évolution
Une première loi de 1941 instaure l’autorisation et la surveillance des fouilles par l’État, et rend obligatoire la déclaration de découverte fortuite. Par la suite, l’Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales (AFAN) est créée en 1973 et assure les fouilles dites de sauvetage. Le dispositif reste toutefois très peu encadré.
En 1997, éclate « l’affaire de Rodez » : un aménageur veut construire contre l’enceinte médiévale de la ville et sur des niveaux médiévaux, gallo-romain et de l’Age du Fer. Il refuse de financer le sauvetage. Le classement du site en monument historique initialement envisagé est abandonné. Le promoteur entame ses travaux : le site est détruit aux trois quarts.
Cette affaire et la position controversée de l’AFAN comme opérateur privilégié de l’État, entrainent une réforme : la loi sur l’archéologie préventive du 17 janvier 2001. Elle a été complétée par plusieurs textes, notamment la loi du 1er août 2003 qui a instauré la redevance d’archéologie préventive (RAP), et le décret du 3 juin 2004 fixant les modalités d’intervention des opérateurs agréés. Le cadre législatif de l’archéologie préventive est donc fixé.
La mise en œuvre du mécanisme d’archéologie préventive
L’État est garant de la préservation du patrimoine archéologique. À ce titre, le ministère de la Culture joue un rôle central à travers les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), et plus précisément les services régionaux de l’archéologie (SRA). C’est le préfet de région, sur avis du SRA, qui prescrit les diagnostics ou les fouilles, par arrêté motivé.
L’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), créé en 2002, est l’établissement public national chargé des diagnostics et fouilles. Il coexiste avec d’autres opérateurs agréés (collectivités ou sociétés privées), ce qui a introduit une logique de concurrence dans les fouilles, parfois critiquée pour ses effets sur la qualité scientifique des interventions.
Le dispositif d’archéologie préventive comporte trois étapes. Tout d’abord, un diagnostic archéologique est effectué. Il s’agit d’une intervention destinée à déterminer si des vestiges sont présents sur un site. Généralement réalisé par l’INRAP, il est prescrit avant le commencement des travaux. Ensuite, si le diagnostic révèle la présence d’éléments significatifs, des fouilles peuvent être prescrites. Cela suspend provisoirement les travaux. Enfin, les archéologues exploitent les données du terrain et conduisent des recherches qui enrichissent la connaissance et son partagées avec les citoyens.
Sur les 2000 diagnostics menées chaque année, seules 450 fouilles sont réalisées en moyenne. Moins de 8 % des aménagements font l’objet d’un diagnostic et moins de 2 % donne lieu à une fouille. Le coût moyen représente 1 à 3% du budget total de l’aménagement. L’impact sur les aménagements parait limité. Le financement repose en grande partie sur les promoteurs, via la redevance d’archéologie préventive (RAP). Elle finance les diagnostics et la conservation des données, mais pas les fouilles elles-mêmes, qui sont elles aussi à la charge directe de l’aménageur si elles sont prescrites. L’inconnue est la durée potentielle des fouilles et les retards de travaux qu’elle génère. Les délais des différentes étapes sont limités dans le temps et encadrés par les textes mais, sur ce point, les données concrètes sont rares. Ce mécanisme fait donc l’objet de débats concernant son poids économique pour les aménageurs.
En revanche les découvertes sont fondamentales. Elles permettent évidemment de mieux connaitre nos civilisations et leur histoire. Les exemples sont nombreux : récemment, les fouilles préventives ont permis d’exhumer une statue équestre d’époque Renaissance à Toul, une mosaïque antique à Alès, des tombes d’animaux de plus de 2000 ans dans l’Indre ou encore d’un quartier gallo-romain de Melun en Seine-et-Marne. Un des exemples les plus emblématiques est la récente publication de l’INRAP sur la fouille menée à Lavau, dans l’Aube, pendant dix ans. Elle a permis de mettre au jour un complexe funéraire monumental de la fin du premier âge du Fer (époque du Hallstatt), fin du VIe-début du Ve siècle avant notre ère. Un tumulus de 40 mètres de diamètre a livré une tombe exceptionnelle, dotée d’un riche mobilier : vase, chaudron en bronze orné, vaisselle, bijoux, pierres, ambre, corail. Le défunt, de sexe masculin, était sans doute un prince de l’aristocratie celte.
De récentes propositions d’amendement controversées
En 2024 et 2025, plusieurs propositions d’amendement ont été soumises au Parlement, dans le cadre des projets de lois de simplification de la vie économique et sur l’accélération de la construction de logements. Les objectifs étaient de réduire les délais administratifs, d’éviter les surcoûts pour les aménageurs et de simplifier les procédures.
Un amendement visait à introduire un certain nombre de dérogations de diagnostic pour les projets d’aménagement industriels « d’intérêt national majeur ». En particulier, elles permettaient que ces projets ne soient pas soumis aux obligations d’archéologie préventive, normalement applicables. Cela impliquait donc moins de diagnostics, de fouilles et davantage de risques de destruction du patrimoine culturel. Les dérogations envisagées étaient en effet générales et automatiques, et avaient pour effet de reporter la charge des fouilles sur les finances de l’État et non de l’aménageur.
C’est principalement cette proposition d’amendement qui a été débattue. Elle a suscité une vive réaction des archéologues qui ont souligné les risques de perte irrémédiable d’informations archéologiques, et d’affaiblissement du contrôle public sur des enjeux patrimoniaux essentiels. Ils dénonçaient notamment une priorisation de l’intérêt économique sur l’intérêt patrimonial et culturel. Finalement, l’amendement le plus controversé a été supprimé.
L’archéologie préventive est donc prise en tenaille. D’un côté, les promoteurs dénoncent des délais imprévisibles, des coûts élevés, et une forme de complexité administrative. De l’autre, les chercheurs et conservateurs craignent une dérive vers une privatisation de la fouille, au détriment de la qualité scientifique, et un risque de destruction du patrimoine accru.
Un mécanisme indispensable
L’archéologie préventive est l’expression concrète « d’une conciliation, par l’État, des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social » (Code du Patrimoine art. L 522-1). Face aux pressions économiques, il semble souhaitable que cette activité demeure protégée car elle permet des découvertes essentielles.


Avocat à la cour
Diane Remy Mondange
Avocat à la cour
Cabinet d’avocats De Baecque Bellec
odebaecque@debaecque-avocats.com
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00