Inversion des termes : attention au risque d’imitation en droit des marques
Depuis la popularisation du verlan dans les années 1990 et son ancrage dans les conversations, la compréhension de mots ou d’expressions faits de termes inversés par le public s’est accrue.
En raison de ce phénomène syntaxique, l’enregistrement de marques inversant des termes ou des syllabes du signe d’une marque antérieure peut s’avérer risquée pour les déposants.

La méthode d’appréciation de la similarité entre les signes verbaux
Le propriétaire d’une marque peut-il valablement s’opposer à un enregistrement qui reproduirait son signe en inversant des mots ou des syllabes ?
Autrement dit, il faut déterminer si les offices, dans leur appréciation du risque de confusion au stade de la comparaison des signes, sont susceptibles de retenir un degré de similarité élevé entre un signe qui inverserait les syllabes d’une marque antérieure.
En droit des marques, la comparaison des signes établi un risque de confusion apprécié globalement, prenant en compte la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle entre les signes (CJCE, 11/11/1997, Sabel BV c/Puma AG, C-251/95, pt. 23).
En outre, ce risque de confusion est caractérisé lorsque l’impression d’ensemble qui se dégage de cette comparaison traduit une imitation de la marque antérieure, susceptible de porter atteinte aux fonctions essentielles de la marque, et notamment de sa fonction de garantie d’origine des produits et services.
Ainsi, la comparaison de deux signes dont la seule différence résulterait de l’inversion de l’ordre des syllabes fait difficilement échec à la caractérisation du risque de confusion dans le cas où les produits sont également similaires.
L’inversion des termes : un artifice qui ne masque pas le risque de confusion
La jurisprudence de l’INPI a eu l’occasion de clarifier sa position concernant le degré de similarité des signes reproduisant une marque antérieure en changeant le sens des termes la composant.
Dans une décision du 9 avril 2014 concernant un signe STAR RED et la marque antérieure RED STAR, l’office a en conséquence indiqué que la position inversée d’un signe par rapport à une marque antérieure ne faisait pas échec à la caractérisation d’une similitude visuelle, phonétique et intellectuelle (INPI, 9 avril 2014, 13-4302).
A cet égard, il précise que l’association de deux termes distinctifs présente la même construction malgré la position inversée des termes au sein des deux signes. La demande d’enregistrement était donc fondée sur une imitation de la marque antérieure. Dès lors, le risque de confusion a été reconnu, les produits étant également similaires.
Selon la jurisprudence, la reproduction d’un signe par inversion des termes n’est de la sorte pas de nature à écarter la similitude entre les signes ou à altérer la perception proche des deux signes.
L’office français a eu l’occasion de réitérer cette position à plusieurs reprises.
Dans une affaire impliquant le signe ESCAPE CHEF et CHEFS ESCAPES, l’office a constaté une perception globale très proche malgré l’inversion des termes, ce « dès lors que les dénominations restent dominées par les mêmes séquences de lettres et de sonorité » (INPI, 20 décembre 2022, 22-1747).
L’INPI considère dès lors généralement que « la simple inversion des termes ainsi que leur accolement au sein de la marque antérieure n’ont pas pour effet d’altérer la perception proche des deux signes » (INPI, 19 février 2025, 24-2916 ; INPI, 3 janvier 2025, 24-0749).
Ainsi, une différenciation de deux signes fondés uniquement sur l’inversion et l’accolement des termes de la marque antérieure peut bien conduire l’INPI à caractériser la similarité.
Il importe donc, dans le cadre des recherches d’antériorités, de rester vigilant lorsque deux signes verbaux présentent cette spécificité.

Stéphane Bellec, associé
Avocat Propriété Intellectuelle
avec Laura BEAUSSART, stagiaire élève avocate
sbellec@debaecque-avocats.com
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00