Les conséquences de l’annulation de la vente d’une œuvre d’art
Une vente d’œuvre d’art peut être annulée quand il y a une erreur sur l’authenticité. Il est intéressant d’analyser les conséquences de cette nullité. En principe, l’annulation de la vente d’une oeuvre d’art a pour effet de rétablir la situation telle qu’elle était avant la vente.
La vente annulée est ainsi censée n’avoir jamais existé. Par conséquent, l’acquéreur doit restituer l’œuvre et le vendeur le prix perçu. Lorsque la vente a eu lieu aux enchères, le commissaire-priseur et l’expert indépendant, si son intervention a été sollicitée, peuvent être contraints à reverser les frais et les honoraires qu’ils ont reçus.
Au-delà de cette annulation, de nombreuses difficultés peuvent se poser. Comment restituer l’œuvre ? Quel est le sort des intermédiaires, commissaire-priseur et expert ? Y a-t-il des intérêts de retard, des dommages et intérêts ?
La restitution de l’œuvre
Lorsque l’annulation de la vente d’une œuvre d’art est prononcée, celle-ci doit être restituée au vendeur. Cette restitution peut poser plusieurs difficultés.
D’abord, l’œuvre doit l’être dans l’état dans lequel elle était avant la vente. L’acquéreur qui restitue répond des dégradations et détériorations qui diminueraient la valeur de l’œuvre, à moins que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. Une restauration trop lourde peut poser quelques difficultés. Comme toujours pour une vente d’œuvre d’art, il est donc prudent d’établir des constats d’état ou de demander des rapports de condition au moment de l’achat.
Ensuite, il se peut que l’œuvre ne soit plus disponible car l’acquéreur l’a déjà revendue. Dans ce cas, les juges admettent que la restitution se fasse en valeur. Ce fut le cas pour une célèbre toile désormais au Louvre. Un marchand acquiert une « école de » Fragonard pour 55.000 francs (230.000 euros). En la restaurant, il découvre qu’il s’agit de l’illustre « Verrou ». Il la revend au musée pour 5.150.000 francs (2.600.000 euros). Le vendeur sollicite l’annulation de la vente, qu’il obtient. Mais, la restitution de l’œuvre n’est pas prononcée, puisque celle-ci appartient à l’institution. La Cour condamne donc le marchand à une restitution en valeur. Elle fixe cette valeur au prix de vente de l’œuvre au musée (déduction faite de la somme versée initialement) (Cass. civ. 1ère, 16 octobre 1979, n°7812.167).
En l’état actuel du droit, la restitution en valeur est estimée au jour de la restitution (article 1352 du Code Civil). Lorsqu’un acquéreur a acquis de bonne foi une œuvre et l’a revendue, il ne doit restituer que le prix de cette vente. L’estimation de l’œuvre au jour de sa restitution pourrait contraindre l’acquéreur, selon les circonstances, à verser au vendeur une somme bien supérieure au prix qu’il a perçu. En revanche, si l’acquéreur a acquis l’œuvre de mauvaise foi, il doit en restituer la valeur au jour de sa restitution, lorsque celle-ci est supérieure au prix de vente (article 1352-2 du Code civil).
La restitution du prix de l’œuvre
Si l’acquéreur doit rendre l’œuvre, le vendeur doit réciproquement en restituer le prix. En principe, ce montant ne peut être diminué ou augmenté.
Ce prix porte en principe intérêts au taux légal. Lorsque le vendeur est de bonne foi, les intérêts sont généralement comptés à partir de l’assignation en annulation de la vente. En revanche, lorsqu’il est de mauvaise foi, ils sont calculés à partir du jour du paiement du prix de l’œuvre afin de pallier le préjudice subi par l’acquéreur résultant du temps écoulé. Les juges peuvent également décider que les intérêts échus produisent eux-mêmes des intérêts (Articles 1343-2 et 1352-7 du Code Civil, CA Paris, 1re ch., sect. A, 13 mai 2002, no 2001/03884).
Que se passe-t-il si le vendeur est dans l’incapacité de restituer le prix de vente de l’œuvre, par exemple, s’il est insolvable ? Dans l’hypothèse où l’œuvre a été vendue à l’occasion d’une vente aux enchères, le commissaire-priseur et l’expert peuvent être condamnés solidairement avec le vendeur à rembourser le prix d’adjudication, lorsque le vendeur est défaillant et lorsqu’ils ont commis une faute.
Le cas s’est présenté : un acquéreur achète deux sculptures décrites par le commissaire-priseur et l’expert, comme des œuvres de Rodin, Le Baiser et L’Age d’airain, et appartenant à deux propriétaires distincts. Découvrant que ce sont des contrefaçons, il sollicite et obtient l’annulation de la vente. Entre-temps, l’un des vendeurs est devenu insolvable et l’autre est décédé, sans laisser aucun successeur. La Cour condamne alors le commissaire-priseur et l’expert à garantir le payement de la première œuvre et à rembourser le prix de la seconde car leurs descriptifs étaient fautifs (Paris, 1re ch., sect A, 1er juillet 2008, no 07/04394).
La restitution des frais et honoraires
Les frais et honoraires attachés à une vente annulée n’ont plus de cause. Ils doivent dès lors, à l’instar du prix de vente de l’œuvre, être restitués. Ainsi, dans le cas d’une vente aux enchères, le commissaire-priseur et l’expert doivent rembourser à l’acquéreur et au vendeur leurs commissions et honoraires. De même que le prix de vente de l’œuvre, ces sommes peuvent porter intérêts.
Fait notable, la Cour d’appel de Paris a inclus, parmi les frais que le commissaire-priseur doit restituer, la taxe sur les plus-values de cession d’objets précieux que celui-ci avait acquittée pour le compte du vendeur. Elle considère qu’il ne « rapportait pas la preuve de ce que le vendeur pourrait se faire rembourser [cette] taxe à la suite de l’annulation de la vente » (Paris, 1re ch., sect. A, 10 juin 2003, no 2002/00785).
Le versement de dommages et intérêts
L’annulation de la vente d’une oeuvre d’art ne résultant pas d’une faute mais d’une erreur, ne devrait pas donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.
Toutefois, si l’une des parties est fautive, elle peut être condamnée à une indemnisation. Ainsi, un acheteur antiquaire a-t-il été condamné pour agissements déloyaux. Il faut dire que, missionné par le vendeur pour une expertise, il avait acheté le tableau comme « attribuée à Prud’hon » pour seulement 40 000 francs (6.000 euros), pour le revendre, quelques jours ensuite, au Musée de Dijon comme une œuvre de l’artiste au prix de 850 000 francs (129.582 euros). La Cour d’appel de Paris a annulé la vente et fixé des dommages et intérêts égaux à la différence entre le prix de vente à l’institution et le prix d’achat au particulier (Paris, 4e ch., sect. A, 29 juin 1992, no 90/015357).
En revanche, lorsque l’acquéreur a fait preuve de négligence lors de l’achat de l’œuvre, les juges prononcent la nullité de la vente, mais refusent de lui accorder des dommages et intérêts. Ils estiment que s’il s’est trompé sur l’authenticité de l’œuvre, il ne peut prétendre à un dédommagement pour le préjudice que lui a causé son erreur. S’il n’est pas suffisamment compétent, il lui appartient de faire examiner l’œuvre concernée par un expert en amont de la vente.
L’allocation de dommages et intérêts est également refusée à un marchand de tableaux, acquéreur d’une peinture prétendument « de Monticelli », à qui il appartenait en raison de sa qualité, de prendre toutes les précautions voulues avant son achat (Cass. civ. 1re, 26 mai 1965, no 63-10.258) (sur l’appréciation de l’erreur du professionnel : voir notre article Comment apprécier l’erreur d’un professionnel lors de l’acquisition d’une œuvre d’art ?).
L’enrichissement sans cause
Un sujet épineux est celui de l’acheteur « découvreur » du chef d’œuvre que se retrouve évincé des profits liés à sa trouvaille par l’annulation de la vente d’une oeuvre d’art. Si l’annulation de la vente résulte de la découverte que l’acquéreur fait, par ses efforts de recherche, d’analyse ou encore de restauration, de la véritable identité de l’œuvre (et donc de sa vraie valeur), il pourrait légitimement considérer que le vendeur a bénéficié de ses efforts, et s’est enrichi sans cause.
Dans l’affaire du Verrou de Fragonard précitée, la Cour d’appel d’Amiens a reçu l’action en enrichissement sans cause de l’acheteur, car la découverte de l’authenticité du tableau résultait de ses efforts de recherche et d’analyse. Elle a dès lors jugé que l’appauvrissement subi par le marchand devait être fixé à la valeur de son intervention et que cette intervention devait être appréciée « en fonction de sa notoriété acquise, grâce à ses connaissances incontestées et à ses moyens matériels importants, notamment une bibliothèque exceptionnelle ». Elle a fixé cette indemnité à 1.500.000 francs (230.000 euros), soit presque un tiers du prix payé par le Louvre (CA Amiens, 30 avril 1990, no 624/87 ; Cass. civ. 1re, 25 mai 1992, n° 90-18.222, 90-18.634, 90-18.814).
A contrario, dans l’affaire du tableau de Poussin, La fuite en Égypte, la Cour a considéré que la découverte de l’authenticité n’était apparue qu’au cours de l’instance résultant de l’action en annulation, grâce au travail des experts désignés par le tribunal. Les acquéreurs ne rapportaient pas la preuve des travaux, des recherches ou des restaurations ayant permis cette découverte. L’enrichissement en cause ne trouve donc pas à s’appliquer dans une telle hypothèse (Paris, 1re ch., sect. B, 28 juin 2001, nos 1997/00740 et 2001/5640 ; Cass. civ. 1re, 17 septembre 2003, no 01-15.306). Cette décision peut paraître très sévère alors que les frères Pardo, acheteurs et découvreurs de l’œuvre, avaient fait de multiples diligences pour authentifier l’œuvre (exposition dédiée, recherches, consultations des spécialistes, etc.).
On déduit de ces solutions divergentes que l’action en enrichissement sans cause est subordonnée à une analyse factuelle, au cas par cas, quelque peu subjective. Il est donc prudent de trouver un accord entre acheteur et vendeur pour partager les fruits de la découverte. Ce fut le cas dans plusieurs transactions récentes.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°594 en novembre 2022