Modification de l’aire géographique de l’appellation « Champagne » : un processus long et périlleux
Légalement consacré le 29 juin 1936, le signe distinctif « Champagne » constitue l’une des plus anciennes appellations d’origines contrôlées françaises (AOC). Alors que les terres de vignoble ainsi que les modes de production ont évolué et que la demande ne cesse d’augmenter, l’aire géographique à laquelle l’AOC Champagne s’applique reste inchangée depuis sa délimitation en 1927. Une révision du cahier des charges de l’AOC semble donc s’imposer. Mais le processus s’annonce difficile.
La nécessaire délimitation de l’aire géographique de l’AOC Champagne
Une AOC permet de rattacher un produit à un territoire ainsi qu’à des méthodes de production qui lui confèrent des qualités et des caractéristiques particulières. Elle établit donc un lien entre le produit concerné et son lieu d’origine.
L’appellation est créée par décret du Conseil d’État et sur proposition de l’Institut National de l’Origine et de la qualité (INAO). Le cahier des charges de l’AOC est homologué à cette occasion. Il doit déterminer l’aire géographique concernée par la protection, les produits qui peuvent en bénéficier ainsi que les méthodes de production ou de fabrication de ces produits. Le lieu ou le territoire auquel l’AOC peut s’appliquer doit ainsi être rigoureusement défini. Concrètement, il s’agit de la surface dont les communes peuvent revendiquer l’appellation.
S’agissant de l’AOC Champagne, l’aire de production recouvre près de 33.000 hectares et concerne 319 communes réparties dans cinq départements : l’Aisne, l’Aube, la Haute-Marne, la Marne, et la Seine-et-Marne. La superficie des terres viticoles auxquelles l’appellation est applicable est importante. Mais elle demeure insuffisante pour assurer une production pérenne et satisfaire à la demande, tout en maintenant des standards de qualité élevés. Depuis une vingtaine d’années, les producteurs de Champagne appellent donc de leurs vœux une extension de l’aire géographique de cette appellation.
Dans ces conditions, une procédure de modification de son cahier des charges a été initiée en 2008 par l’INAO. Une première liste des communes concernées par cette révision a ainsi été établie. Or, si des communes pourraient bénéficier d’une extension de leurs parcelles exploitables ; d’autres auraient en revanche vocation à sortir du périmètre de l’appellation. Il existe dès lors un risque de contestation.
Le risque d’opposition à la révision du cahier de charges
Quel qu’en soit le résultat, la révision de l’aire géographique de l’AOC Champagne ne sera pas sans conséquences financières. En effet, la valeur des terres agricoles qui intégreront l’aire géographique de l’appellation Champagne connaîtra une augmentation exponentielle. Au contraire, le risque de pertes pour les viticulteurs dont les terres seraient en tout ou partie exclues du territoire de l’appellation est très important. La valeur foncière de leurs anciennes vignes sera considérablement amoindrie et leur production diminuée. La révision projetée pourrait alors être contestée.
En toute hypothèse, la demande de modification du cahier des charges de l’AOC Champagne sera soumise à l’approbation d’un comité de l’INAO, compétent au niveau national pour définir les orientations applicables aux appellations d’origine relatives aux vins. Le projet de révision sera donc soumis à approbation. Compte tenu de l’importance majeure que revêt la modification de l’aire géographique d’une appellation, il est fort probable que cette révision donne également lieu à l’ouverture d’une procédure d’opposition pour les tiers (Article R. 641-20-1 du Code rural). Ainsi, tout intéressé pourra adresser une opposition écrite et motivée à l’INAO dans un délai de deux mois à compter de la publication de la demande de modification. L’INAO sera alors tenu de notifier aux éventuels opposants les suites données à leurs revendications.
Gageons qu’une opposition collective des vignerons lésés pourrait ainsi amener l’INAO à reconsidérer sa position quant à la nouvelle aire géographique de l’AOC.
Deux éléments devraient enfin rassurer les exploitants : d’une part, la révision de l’aire géographique ne devrait pas être finalisée avant 2029 ; d’autre part, elle pourrait s’accompagner d’une autorisation temporaire de poursuivre l’exploitation des parcelles concernées par une sortie de l’AOC Champagne (une durée de trente ans serait ainsi envisagée par l’INAO).
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00
Étiquettes : AOC, Appellation