Renforcement de la protection de l’appellation d’origine  : l’affaire « Morbier »

Depuis le 22 décembre 2020, le fromage « Morbier » est protégé en droit français par une appellation d’origine contrôlée (AOC). La dénomination « Morbier » est ainsi réservée aux fromages qui bénéficient de l’AOC. À l’occasion d’un litige opposant le Syndicat interprofessionnel en charge de la défense de cette appellation à une fromagerie, la protection conférée par l’AOC a toutefois été étendue. Désormais, l’apparence visuelle du fromage est également protégée.

appellation d'origine Morbier

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La protection de la dénomination « Morbier » par l’AOC

Une AOC est un signe distinctif qui permet d’établir un lien entre un produit et son territoire d’origine. Elle permet aussi de valoriser la méthode de production et les qualités intrinsèques du produit qu’elle désigne. La dénomination d’une AOC est donc protégée, car elle garantit au consommateur l’origine du produit. Son usage est strictement encadré : seuls les produits qui répondent aux exigences du cahier des charges de l’appellation concernée, peuvent utiliser sa dénomination.

C’est donc le cahier des charges de l’AOC qui délimite les produits susceptibles de bénéficier de la protection. Outre le territoire géographique et les méthodes de fabrication, le cahier des charges définit les produits concernés.

Depuis la création de l’AOC « Morbier », la dénomination recouvre ainsi un fromage au lait cru de vache, originaire de l’Ain, du Doubs ou du Jura. Surtout, le « Morbier » est caractérisé par son apparence visuelle puisqu’il a « la forme d’un cylindre plat de 30 à 40 centimètres de diamètre, d’une hauteur de 5 à 8 centimètres, d’un poids de 5 à 8 kg, qui présente des faces planes et un talon légèrement convexe ». Son attribut principal reste toutefois qu’il présente une raie horizontale noire, continue sur toute sa tranche et composée de cendres de charbon. Cette « signature » visuelle le rend immédiatement identifiable. En d’autres termes, le consommateur assimile ce trait noir central au « Morbier » et rattache dès lors le fromage concerné à une origine.

Au-delà de la reprise de la dénomination protégée « Morbier », l’utilisation d’un trait horizontal pour identifier un fromage est dès lors susceptible d’induire en erreur le consommateur sur la véritable origine du produit. Toutefois, l’apparence visuelle d’un produit n’était, jusqu’alors, pas protégée par une AOC. Les juges français sont récemment revenus sur cette position, se ralliant ainsi à la position européenne.

L’extension de la protection conférée par l’AOC « Morbier », à l’apparence visuelle du fromage

Dans un arrêt du 18 novembre 2022 (N°RG 21/16539) la cour d’appel de Paris a jugé que la protection conférée par une AOC interdit l’utilisation de sa dénomination pour des produits non couverts, mais également la reproduction de la forme ou de l’apparence caractéristique du produit désigné par cette dénomination.

Dans cette espèce, une fromagerie produit un fromage ne bénéficiant pas de l’AOC « Morbier », mais présentant une raie sombre séparant les deux parties du produit. Le Syndicat de défense de l’appellation considère que cet usage constitue une évocation de la dénomination protégée, portant dès lors atteinte à sa protection.

Après avoir été débouté en première instance puis en appel, le Syndicat forme un pourvoi en cassation. La Cour de cassation pose alors une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Ce mécanisme permet au juge national d’interroger la CJUE lors d’un procès, afin de connaître l’interprétation à donner à un texte, en l’occurrence les règlements européens en matière d’AOC.

La CJUE répond que la protection d’une AOC interdit de reprendre l’apparence visuelle d’un produit protégé, lorsque cette reprise est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

La Cour de cassation est alors contrainte de casser l’arrêt attaqué et renvoi l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.

Au terme d’une longue saga judiciaire, la cour d’appel de Paris se range à l’avis de la CJUE. Elle indique qu’il est nécessaire de rechercher si l’apparence du produit concerné constitue une « caractéristique de référence particulièrement distinctive ». En l’occurrence, il s’agit donc d’apprécier si la raie noire du « Morbier » l’identifie et le distingue suffisamment des autres fromages dans l’esprit des consommateurs. Auquel cas, il faut encore que la reprise de cette caractéristique soit susceptible de tromper le consommateur sur l’origine du produit.

La Cour d’appel répond par la positive en jugeant que « la reproduction de la caractéristique distinctive du Morbier qu’est la raie centrale de couleur sombre alliée à la reprise de l’ensemble des caractéristiques de forme et d’apparence du fromage d’appellation d’origine constitue l’évocation de la dénomination Morbier en ce que le consommateur en présence du fromage [litigieux] est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, le fromage d’appellation d’origine « Morbier » ».

La décision est importante, car elle étend considérablement le domaine de protection d’une AOC et offre une alternative notable à la concurrence déloyale.

alexandre choquet avocat paris en propriété intellectuelle

Alexandre Choquet, collaborateur

Avocat Propriété Intellectuelle

 

 

 

 

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