Quand l’art rencontre le droit des marques : Rolex obtient gain de cause face à un artiste
Le 2 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une nouvelle décision concernant l’équilibre subtil entre liberté artistique et droits de propriété intellectuelle. Ainsi, s’inspirer d’une marque pour créer une œuvre semble tolérable ; mais utiliser une marque renommée pour promouvoir son art ne l’est pas.
Nombreux sont les artistes incorporant des marques notoires dans leurs œuvres : Andy Warhol et les boîtes de soupe Campbell’s, EZK et Louis Vuitton, ou encore Banksy et Mickey. Cette pratique n’est pas nouvelle. Chaque fois, la question des limites à la liberté d’expression se pose.
L’artiste peintre Johann Perathoner s’inscrit dans ce courant artistique influencé par le Pop Art. D’une part, il a créé une série d’œuvres, intitulée « 3D Watches », représentant des villes intégrées dans des cadrans de montres, sous des titres évocateurs et en utilisant le signe « Rolex » et les noms de ses modèles. D’autre part, il a promu et commercialisé activement son Œuvre sur les réseaux sociaux et YouTube en reproduisant les marques Rolex et leur célèbre couronne pour une exposition à l’hôtel Royal Monceau.

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Saisi par Rolex, le tribunal a tranché ce litige au regard de la contrefaçon de marques (Rolex et la couronne) et du parasitisme (eu égard aux dénominations sociales et au nom commercial Rolex). Johan Perathoner opposait quant à lui classiquement sa liberté d’expression artistique. Il considérait que l’usage qui lui était reproché relevait d’une approche artistique et non d’une exploitation commerciale. Or, c’est bien l’usage promotionnel et commercial, davantage que les œuvres elles-mêmes, qui a conduit le tribunal à considérer qu’il s’agissait d’usages non autorisés.
L’atteinte à la renommée des marques Rolex est caractérisée
L’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée est interdit s’il tire indûment profit de la renommée de cette marque ou lui porte préjudice. Une telle marque se définit comme la marque connue par une partie significative du public concerné par les produits ou les services qu’elle désigne et qui exerce un pouvoir d’attraction propre, indépendamment desdits produits et services. Elle bénéficie par conséquent d’une protection élargie, au-delà de ces derniers. En somme, Dior, Coca-Cola, Adidas, jouissent d’une protection plus forte qu’une marque banale.
En l’occurrence, seuls les marques « Rolex » et le logo à la couronne stylisée sont considérés comme renommés par le tribunal. En revanche les noms de ses modèles (« GMT-Master », « Yacht-Master » et « Milgauss ») ne jouissent pas d’une renommée autonome.
Au regard de l’atteinte aux marques renommées, l’argument de la liberté d’expression artistique est rejeté. Attention à la distinction faite par le tribunal : l’utilisation des signes « Rolex » dans les titres des œuvres de l’artiste relève de son expression artistique.
En revanche, la présence répétée des signes « Rolex » dans des contenus promotionnels a été jugée de nature à faire croire à une association commerciale ou contractuelle entre l’artiste et la prestigieuse maison. La promotion de l’artiste grâce à ces signes, sur les réseaux sociaux et dans un clip vidéo, dépasse les usages loyaux en matière industrielle et commerciale. La juridiction relève notamment que : « L’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion, l’artiste tirant parti de la notoriété de ces marques pour valoriser ses œuvres ».
Une application classique et complémentaire du parasitisme
Le tribunal reconnaît également que l’artiste a tiré parti, sans investissement propre, de la notoriété des sociétés Rolex en usant de leurs dénomination sociale et nom commercial (Rolex) à des fins de promotion commerciale. Il importe peu que l’usage intervienne dans un domaine artistique. Les juges constatent que l’artiste « a multiplié les références aux signes « Rolex » dans le cadre de son activité artistique, l’évoquant dans ses publications sur les réseaux sociaux pour présenter et promouvoir ses œuvres, créant un risque d’association directe dans l’esprit du consommateur qui sera amené à croire à l’existence d’un lien ou d’un partenariat entre les parties à l’instance ».
Cette reconnaissance d’un parasitisme “artistique” confirme la tendance jurisprudentielle à étendre la notion d’agissements fautifs dès lors qu’un artiste cherche à se placer dans le sillage économique et symbolique d’une marque renommée, sans autorisation.
Une sanction centrée sur les usages promotionnels des œuvres
En définitive, c’est la diffusion de ces œuvres sur les réseaux sociaux et dans un clip promotionnel sur YouTube qui a retenu l’attention du tribunal. Les sanctions prononcées concernent ces usages promotionnels et le parasitisme des marques renommées : le tribunal fait notamment interdiction à l’artiste d’user les signes « Rolex » litigieux, et ordonne le retrait desdits signes de la vidéo YouTube et des réseaux sociaux.
Ainsi, la décision ne se prononce pas sur la reproduction des montres Rolex dans les œuvres de l’artiste. Le tribunal n’était en effet pas véritablement saisi de cette question. Reste donc à savoir si cette représentation, modifiée ou stylisée, des produits emblématiques de la maison pourrait bénéficier d’une exception au titre de la liberté de création ou de la parodie.
En tout état de cause, la décision n’interdit pas à l’artiste Johan Perathoner d’exploiter ses œuvres. Elle illustre l’équilibre complexe entre liberté de création artistique et protection des droits de propriété intellectuelle. Et elle met en lumière une ligne jurisprudentielle de plus en plus affirmée : l’inspiration artistique ne justifie pas un usage commercial détourné des droits de propriété intellectuelle.
ensemble des cocontractants. La sculpture devrait être démontée, et les 170.000 euros versés à la société Atelier Missor, remboursés. La Régie peut encore fait appel du jugement.

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