Atteinte à l’AOP Saint Émilion pour des produits autres que le vin

Une récente décision de l’INPI confirme la protection accordée aux appellations d’origine protégées (AOP) au-delà des produits strictement identiques. Ainsi, l’AOP Saint Émilion permet d’obtenir la nullité d’une marque SAINT EMILLIARD pour des boissons alcoolisées autres que le vin et des objets en verre notamment. Une décision conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Champanillo.

AOP Saint Emilion protection étendue

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Une marque SAINT EMILLIARD est déposée à l’INPI pour des produits des classes 21 (bouteilles; objets d’art en porcelaine, en céramique, en faïence ou en verre) et en classe 33 (boissons alcoolisées à l’exception des bières et des vins).

Le Conseil des vins de Saint Émilion, défenseur de l’AOP éponyme, demande la nullité de la marque. Elle porte atteinte à l’appellation d’origine protégée Saint Émilion et est de nature à induire le consommateur en erreur.

Dans sa décision du 12 octobre 2023, l’INPI annule l’enregistrement de la marque pour l’intégralité des produits couverts. L’organisme fait siens les arguments du demandeur, notamment l’atteinte à l’AOP par évocation (article 103 2b du règlement UE 1308/2013 du 17 décembre 2013).

Une évocation de l’AOP Saint Émilion ?

L’INPI veut savoir si un consommateur moyen, “normalement informé et raisonnablement attentif et avisé” peut avoir à l’esprit le produit bénéficiant de l’AOP en présence de la marque litigieuse. Une telle évocation peut exister même en l’absence de tout risque de confusion.

En l’espèce, la marque contestée reprend partiellement l’appellation protégée, dans les trois premières syllabes sur quatre. Cette incorporation partielle génère une similitude phonétique, visuelle et conceptuelle entre les termes en cause.

En outre, l’INPI relève un lien entre certains produits couverts par l’enregistrement contesté (les boissons alcoolisées et les bouteilles) et le vin, objet de la protection de l’AOP SAINT EMILION.

L’INPI en conclut la nullité de la marque pour l’ensemble des produits désignés ! Le signe déposé appliqué aux produits, fussent-ils pour certains distincts du vin, est de nature à créer un lien direct et univoque. Selon l’organisme public, le consommateur aura principalement et directement à l’esprit comme image de référence l’AOP SAINT EMILION. Et cela, d’autant plus que cette AOP bénéficie d’une forte notoriété en France. La marque SAINT EMILLIARD porte donc atteinte à la protection accordée à cette AOP en vertu des dispositions du droit de l’Union européenne

Protection des AOP pour des produits distincts

Ce n’est pas la première fois que l’INPI ou les tribunaux étendent la protection des AOP au-delà des seuls produits couverts. Depuis longtemps, l’AOP Champagne se bat contre toute utilisation de sa notoriété. Ainsi, dès 1984, son comité de défense a obtenu l’annulation de marque contenant le terme Champagne pour du tabac.

Plus récemment, il a obtenu l’interdiction de bars à tapas CHAMPANILLO en Espagne, la marque semi-figurative comportant deux coupes de liquide pétillant qui s’entrechoquent). Nous avions évoqué la décision de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne, du 9 septembre 2021, répondant à une question préjudicielle au sujet de la portée de l’évocation de l’AOP CHAMPAGNE).

La CJUE avait apporté des réponses claires :

  • L’article 103 2b précité protège les AOP contre tout agissement relatif à des produits et à des services.
  • L’évocation n’exige pas que les produits et services soient similaires.
  • L’évocation doit produire dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP.
  • Ce lien résulte notamment de l’incorporation partielle de l’appellation, de similitude phonétique et visuelle, de proximité conceptuelle ou encore de similitude entre les produits et services.
  • L’évocation d’une AOP est étrangère au concept de concurrence déloyale.

On se réjouit de cette nouvelle décision de l’INPI, qui s’inscrit dans la droite ligne jurisprudentielle de la CJUE, très protectrice des AOP. La décision de l’INPI reprend mot pour mot le verbatim de la CJUE au soutien de son argumentation.

 

Stéphane Bellec avocat propriété intellectuelle

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