Cession de marque, continuité et caractère trompeur : l’affaire FAURE LE PAGE
Il ne suffit pas d’obtenir la cession d’une marque ou d’une entreprise pour se prévaloir de son long savoir-faire. Tel pourrait être l’enseignement de l’affaire Goyard / Fauré le Page. Les tribunaux français adoptent une position conforme à celle de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) : trouver le juste équilibre entre la prévention du caractère trompeur et le droit de céder les éléments du fonds de commerce (marque et clientèle).
La position européenne
Par un arrêt du 30 mars 2006, la CJUE s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, g) de la directive du 21 décembre 1988 prohibant l’enregistrement des marques déceptives ou de nature à tromper le public. Ce motif de nullité de la marque est depuis lors transposé à l’article L711-3 du Code de la propriété intellectuelle.
La cour devait se décider, suite à une question préjudicielle, si la cession d’une marque patronymique induisait la possibilité pour le cessionnaire de se prévaloir de ce nom en continuant l’activité exercée, sans que cela soit de nature à induire le public en erreur.
Il s’agissait alors de fonder un juste équilibre entre la prévention du caractère trompeur de la marque pour le consommateur, et la possibilité de céder des entreprises et leurs clientèles avec les marques auxquelles ces dernières sont attachées.
La cour décide que le texte entend prohiber les hypothèses dans lesquelles il est possible de caractériser l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur. L’usage du nom cédé ne doit pas suggérer au consommateur que la personne physique porteuse du nom patronymique travaille encore pour la fabrication du produit.
Cette solution donne alors une marge de manœuvre très importante aux juridictions des États membres. Elle les laisse apprécier souverainement la caractérisation d’un « risque suffisamment grave de tromperie » du consommateur. Les déclinaisons peuvent donc être nombreuses et très spécifiques, selon les secteurs par exemple.
La position française
Dans un arrêt du 23 novembre 2021, la cour d’appel de Paris saisie sur renvoi a d’ailleurs dû faire une application du principe dégagée par la cour. Le litige opposait la SAS GOYARD ST-HONORÉ à la SAS FAURE LE PAGE MAROQUINIER.
Dans les faits, la Maison Fauré Le Page est créée en 1716, et dissoute en 1992. Son patrimoine fait l’objet d’un transfert universel à son associé unique, la SARL SAILLARD PARIS, titulaire de la marque FAURÉ LE PAGE déposée en 1989.
En 2009, cette SARL met fin à ses activités et transfère la marque à la société FAURÉ LE PAGE PARIS, créée cette même année. Cette société va enregistrer deux marques FAURÉ LE PAGE PARIS 1717, en faisant référence à l’origine historique de la marque acquise.
La question posée devant le juge est donc la suivante : Une société ayant acquis une marque peut-elle se prévaloir de l’ancienneté des exploitations réalisées par les cédantes successives ?
La cour d’appel de renvoi va confirmer la solution rendue par la Cour de cassation, qui avait infirmé la position des premiers juges. Le simple fait que la marque déposée en 1989 ait été cédée en 2009 ne permet pas de justifier de la continuité de l’activité entreprise par les précédentes structures. En l’absence de continuité des droits entre les différentes sociétés cédantes, une société créée récemment ne peut donc pas se prévaloir de l’ancienneté de la marque exploitée.
La cour d’appel de renvoi énonce ainsi de manière très claire que « les marques « FAURÉ LE PAGE PARIS 1717« , qui contiennent la date 1717 faisant référence à la date de création de la société Fauré Le Page au XVIIIème siècle sont de nature à tromper le public en créant un risque de confusion sur l’origine des produits visés à l’enregistrement, en lui laissant croire qu’ils proviennent d’une société Fauré Le Page ancienne de plusieurs siècles, ce qui est un gage de savoir-faire, de qualité et de sérieux pour le consommateur desdits produits ».
L’ancienneté de la marque en tant qu’élément qualitatif des produits et services désignés bénéficie alors d’une protection accrue, à laquelle les sociétés doivent être très attentives au cours de l’élaboration de leur projet d’exploitation.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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