Une cession à titre gratuit de droits d’auteur est assimilée à une donation : une affaire de marionnettes

Une nouvelle fois, les juges assimilent une cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle à une donation. Par conséquent, les parties doivent s’attacher au respect du formalisme prévu pour ce mode de transmission. Pour éviter cela, elles peuvent prévoir une contrepartie immédiate et non symbolique. Cette solution est similaire à celle reconnue en droit des marques.

cession de droits d'auteur et donation: une affaire de marionnettes

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Les droits d’auteur sur les marionnettes

Deux marionnettistes professionnels créent des œuvres qu’ils protègent par un dépôt à la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Le média Blast souhaite utiliser les marionnettes dans le cadre d’une émission satirique. Après la création de plusieurs numéros, les auteurs poursuivent le média pour contrefaçon de droit d’auteur, faute de cession des droits, et atteinte aux droits moraux et patrimoniaux sur les œuvres.

Le tribunal judiciaire de Paris rend une ordonnance de référé dans cette affaire, le 11 septembre 2024 (décision 24/50726). Il condamne le média à cesser toute utilisation des marionnettes, dans l’attente d’un jugement sur le fond.

Une cession gratuite et implicite de droit d’auteur ?

La société Blast invoquait des échanges de mails, montrant un accord de principe des auteurs pour accorder une exploitation gratuite en échange d’un partenariat futur relatif au développement de l’émission.

Les juges constatent que les mentions requises pour une cession de droits d’auteur sont manquantes. Aucune information sur l’étendue de l’exploitation, le temps, les lieux et modes possibles. La cession ne respecte pas le formalisme attaché aux cession de droits d’auteur tel que rappelé à l’article L 131-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Le tribunal relève également qu’un contrat était en cours de négociation ! Le média Blast ne pouvait donc ignorer la nécessité de conclure un accord.

Une cession gratuite de droit d’auteur : le respect du formalisme des donations

En fin de décision, le tribunal ajoute que les cessions à titre gratuit doivent suivre le formalisme des donations (article 931 du Code civil). Or, aucun acte notarié n’a vu le jour.

L’hypothétique contrepartie d’une participation future à l’émission ne constitue visiblement pas une rémunération de la cession des droits d’auteur. En effet, celle-ci doit être pécuniaire et non symbolique.

Cette décision rappelle une affaire similaire sur une cession à titre gratuit de marque. La cour d’appel de Paris a confirmé la décision des premiers juges et semé le trouble auprès des professionnels, comme nous l’avions relevé : la cession à titre gratuit de marque impose le respect du formalisme des donations.

Les conséquences d’une telle jurisprudence sur l’ensemble des droits de propriété intellectuelle a de bonnes raisons d’inquiéter. Au-delà du coût de l’intervention du notaire, ce sont surtout les droits de donation dus, particulièrement en l’absence de lien de parenté entre donataire et donateur (60 %) qui soulèvent l’inquiétude.

Or, un élément essentiel de la donation réside dans l’intention libérale, l’intention de donner le bien matériel ou immatériel. Dans le cas d’œuvres d’art ou de marques, on arrive souvent à identifier une contrepartie réelle, même non financière. L’intention libérale pourrait alors faire défaut.

Cette méconnaissance de l’article 931 du Code civil et de son interprétation par la Cour de cassation génèrent des critiques. Ainsi, Philippe SCHMITT reproche aux décisions portant sur des cessions de marques l’absence de recherche d’une intention libérale. En outre, soumettre les cessions de marques au régime des donations est incohérent avec les pratiques de nos voisins européens.

Nous ne pouvons que réitérer notre souhait de voir la Cour de cassation intervenir pour clarifier les modalités et conditions de donation de droits de propriété intellectuelle. En attendant cela, un seul mot d’ordre en cas de contestation de cessions à titre gratuit de droits d’auteur ou de marque : argumenter sur l’absence d’intention libérale.

 

 

Stéphane Bellec avocat propriété intellectuelle

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