Conditions de protection d’une AOP : précisions de la CJUE
La CJUE (Cour de Justice de l’Union européenne) a rendu une décision importante en matière de conditions de protection d’une AOP (appellation d’origine protégée) le 9 septembre 2021. Le tribunal suprême espagnol l’avait saisie de 4 questions préjudicielles autour de l’AOP Champagne en 2016. Cet arrêt reconnaît la possibilité d’une atteinte par évocation provoquée par des signes utilisés sur des produits non comparables.
Le CJUE répond en trois temps.
Conditions de protection d’une AOP pour des services en lien avec la distribution du produit
Le champ de protection d’une AOP permet de la protéger vis-à-vis de produits similaires. Qu’en est-il vis-à-vis de services qui pourraient être en lien avec la distribution directe ou indirecte du produit ? La CJUE reconnaît cette possibilité en se fondant sur l’article 103, §2, b) du règlement (UE) n° 1308/2013. En effet, l’AOP est protégée contre toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine du produit ou du service est indiquée.
Seuls les produits peuvent bénéficier d’une AOP. Toutefois, les services connexes à une dénomination litigieuse peuvent être sanctionnés sur ce fondement. Cette vision respecte la volonté du législateur européen selon la CJUE. Il s’agirait de services « à proximité », à savoir des services dont la prestation peut être associée à la consommation de vin, telle que la restauration, la publicité, l’œnotourisme ou encore la dégustation à caractère éducatif. Il en va de même pour des produits dont la destination peut croiser la consommation de produits protégés par une AOP ou une IGP (indication géographique protégée), comme les verres, les ustensiles et les accessoires pour les œnophiles.
Quels produits sont concernés par la notion d’évocation ?
La notion d’évocation recouvre l’hypothèse selon laquelle le signe utilisé incorpore une partie d’une AOP ou d’une IGP.
L’évocation est possible lorsqu’il existe une parenté phonétique et visuelle entre l’AOP et le signe contesté, appliqué à des produits d’apparence analogue. L’évocation peut également résulter d’une proximité conceptuelle entre le nom protégé et le signe contesté.
La CJUE fait référence au « consommateur européen moyen » sans pour autant exclure le consommateur moyen d’un seul État membre. Les deux possibilités sont donc envisageables et il appartiendra aux demandeurs d’adapter le standard utilisé en fonction de leur demande.
Depuis l’arrêt Manchego (CJUE, 2 mai 2019), on sait qu’en matière d’évocation, l’échelle nationale pour déterminer le consommateur moyen des produits AOP/IGP joue un rôle doublement favorable à la protection des dénominations :
- Il convient de ne pas tenir compte des circonstances susceptibles d’exclure l’existence d’une évocation pour les consommateurs d’un seul État membre.
- L’existence d’une évocation peut également être évaluée uniquement par rapport aux consommateurs d’un seul État membre.
En réitérant cette thèse, la CJUE ouvre la perspective de généralisation de l’effet protecteur de la jurisprudence « Champanillo » en matière d’évocation à la plupart des AOP / IGP. Vu que le consommateur moyen peut être identifié au sein d’un seul État, la protection vis-à-vis des produits et services similaires n’est pas un cas d’école lié à la réputation européenne du champagne mais se met en œuvre pour toute appellation ou indication reconnue par le consommateur moyen, du moins, dans l’État membre de production.
L’utilisation de la notion d’évocation est-elle subordonnée à un acte de concurrence déloyale ?
La CJUE répond par la négative. Le régime de l’évocation d’une AOP repose sur des éléments objectifs, sans pour autant qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une intention, d’une faute ou d’un rapport de concurrence entre les produits, et donc a fortiori sans qu’il soit nécessaire de démontrer un acte de concurrence déloyale.
Le système européen se substitue donc au système national en excluant toutes qualifications préalables. L’uniformité de la protection des AOP et IGP est assurée. Cet arrêt s’inscrit dans la suite de nombreux arrêts qui amenuisent la différence de régime dans l’examen des atteintes entre le droit des marques et celui des appellations d’origine. Ce régime sévère bénéficie jusque-là aux AOP et IGP.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00
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