Le champagne Victoire perd une bataille contre un rosé du Lubéron
Une nouvelle décision confirme que le public concerné par la consommation de vins et boissons alcoolisées se montre particulièrement attentif aux marques. La cour d’appel de Rennes livre une analyse pertinente en droit des marques de vin dans sa décision du 1er avril 2025.

Contrefaçon de la marque CHAMPAGNE VICTOIRE ?
La société Champagne Martel dépose en 2008 la marque CHAMPAGNE VICTOIRE en classe 33, pour les “vins bénéficiant de l’appellation d’origine Champagne”.
Des sociétés du groupe Les Grands Chais de France déposent la marque LA VICTORIE en 2003 en classe 33, puis les marques de l’Union européenne VICTORIE en 2019 et VICTORIE L’AUDACIEUSE en 2020.
En 2020, les marques LA VICTORIE et VICTORIE font l’objet d’un retrait suite aux procédures de la société Champagne Martel. En 2022 et 2023, l’EUIPO (Office de la propriété intellectuelle de l’Union européenne) fait droit à l’opposition formée par cette même société à l’encontre de la marque VICTORIE L’AUDACIEUSE.
Depuis 2020, le groupe Les Grands Chais de France commercialise des bouteilles de vin rosé sous le nom Victoria l’audacieuse. Champagne Martel l’assigne donc en contrefaçon de sa marque antérieure.
La cour d’appel de Rennes confirme la décision des premiers juges, dans son arrêt du 1er avril 2025. La commercialisation de vins rosés du Lubéron sous la dénomination « Victorie l’audacieuse » ne constitue pas une contrefaçon des marques CHAMPAGNE VICTOIRE désignant des vins bénéficiant de l’appellation d’origine Champagne.
Champagne vs. vin rosé
De manière classique, pour déterminer s’il y a contrefaçon, la cour d’appel se livre tout d’abord à la comparaison des produits. S’ils appartiennent à la même classe, les produits en cause relèvent surtout de la même catégorie, celle des boissons alcoolisées.
Ces boissons alcoolisées, champagne comme rosé, bénéficient de canaux de distribution similaires, des mêmes modes de consommation (événements festifs et moments de convivialité), d’une clientèle identique.
Le champagne est un vin pétillant tandis que le rosé ne l’est pas. Tous deux se consomment aussi bien en apéritif qu’au moment des repas. Le champagne se destine plutôt aux fêtes tandis que le rosé se consomme de manière plus décontractée.
Le prix de commercialisation, la forme des bouteilles, leur habillage, leur étiquette ou encore leur présentation concernent les conditions de commercialisation des produits. Ces éléments ne sont pas pertinents au regard de la jurisprudence bien établie.
Selon la cour d’appel, champagne et rosé présentent donc une certaine similarité.
Comparaison des signes en présence
Lorsque le signe litigieux n’est pas une marque enregistrée, la comparaison doit s’opérer avec le signe tel qu’il est utilisé.
D’un côté, la marque invoquée comporte l’élément CHAMPAGNE descriptif pour des vins de champagne. L’autre élément VICTOIRE fait référence au succès ou à un prénom féminin. Dans les deux hypothèses, il est distinctif pour des boissons alcoolisées et dominant au sein de la marque. Pour autant, les éléments CHAMPAGNE VICTOIRE, plus faciles à retenir que le seul élément VICTOIRE, doivent être considérés comme un tout.
De l’autre côté, au sein du signe contesté, les éléments VICTORIE et L’AUDACIEUSE forment également un tout et sont parfaitement distinctifs et dominants. Le demandeur ne rapporte pas la preuve que le terme VICTORIE serait une marque ombrelle.
Comparant les signes, la cour d’appel retient peu de similitudes sur le plan phonétique. VICTOIRE comporte deux syllabes quand VICTORIE en a trois. Les deux signes partagent la même syllabe d’attaque VIC. La présence des autres termes accentue les différences phonétiques entre les signes.
Toutefois, le public concerné est le public français qui a l’habitude de distinguer des vins de champagne d’autres vins. Le consommateur de champagne et de vin rosé est un consommateur raisonnablement avisé et attentif qui est conscient des caractéristiques des deux produits (prix, AOP).
Il n’existe pas de risque d’association pour le public qui ne sera pas amené à considérer que les parties sont liées économiquement ou que les produits proviennent de la même entreprise. En effet, il n’existe pas de déclinaisons des marques CHAMPAGNE VICTOIRE.
Les éléments figuratifs du signe VICTORIE L’audacieuse permettent aussi au consommateur d’identifier l’origine du produit. L’impression d’ensemble produite par les signes ne génère pas de risque de confusion dans l’esprit du public visé.
La coexistence du champagne Victoire et du rosé Victoria l’Audacieuse est possible pour la cour d’appel de Rennes. Nous avions déjà évoqué cette attention spécifique du consommateur de vins par rapport aux marques, que confirme une nouvelle fois les tribunaux.

Stéphane Bellec, associé
Avocat Propriété Intellectuelle
sbellec@debaecque-avocats.com
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00