La contrefaçon d’une marque jamais exploitée est-elle possible ?
SUJET : DROIT DES MARQUES
Les questions préjudicielles posées par la Cour de cassation en droit des marques sont rares et celle-ci est particulièrement intéressante. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est appelée à se prononcer sur l’obligation d’exploiter une marque dès son enregistrement et la possibilité d’agir en contrefaçon par imitation sans usage de son titre de propriété industrielle. La CJUE doit placer le point d’équilibre entre monopole du propriétaire de marque et libre disposition des signes pour une saine concurrence.
Les faits
Le titulaire de la marque SAINT GERMAIN enregistrée pour des boissons alcoolisées en 2005 assigne en contrefaçon l’exploitant d’une liqueur ST GERMAIN. Dans une procédure parallèle, ce même propriétaire est déchu pour non-usage de ses droits sur la marque enregistrée, à compter de 2011. Il maintient malgré tout sa demande d’indemnisation pour les périodes antérieures à la déchéance, de 2009 à 2011, dans le premier procès.
Le tribunal de grande instance puis la cour d’appel de Paris, le 13 septembre 2016, rejettent sa demande : l’imitation d’une marque suppose donc un risque de confusion qui nécessite donc une exploitation réelle, une mise en contact des produits avec le consommateur.
Le contexte en droit des marques
L’exigence d’une exploitation dès l’enregistrement de la marque par la cour d’appel de Paris a inquiété les propriétaires et les avocats en droit de la propriété intellectuelle. Une action en contrefaçon par imitation ne serait-elle plus possible si l’on n’exploite pas sa marque dans les cinq premières années ?
Trois mois plus tard, la CJUE affirme le contraire : le propriétaire d’une marque peut agir contre l’usage d’une marque identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires, en cas de risque de confusion, sans devoir montrer un usage sérieux. Pendant les cinq premières années de la vie d’une marque, la contrefaçon s’apprécie par rapport aux produits visés dans l’enregistrement et non par rapport à ceux réellement exploités (CJUE, 21 décembre 2016, Länsförsäkringar c/ Matek).
La question préjudicielle en droit des marques
La Cour de cassation évoque cette décision de la CJUE en expliquant que les faits semblent différents en l’espèce puisque le délai de cinq ans est passé et que la déchéance a été prononcée. Elle rappelle la fonction essentielle de la marque, issue d’une jurisprudence européenne bien établie : garantir au consommateur l’identité d’origine d’un produit en lui permettant de se distinguer sans confusion possible des autres produits.
La Cour de cassation pose par conséquent la question préjudicielle suivante à la CJUE : le titulaire d’une marque jamais exploitée et déchu de ses droits peut-il obtenir la condamnation pour contrefaçon par imitation du seul fait du droit exclusif conféré entre l’enregistrement et la déchéance de la marque ?
La Cour de Justice de l’Union européenne doit donc statuer : l’enregistrement d’une marque confère-t-il un droit absolu ou un droit potentiel pendant les cinq premières années ? Ce délai de grâce de cinq ans pour mettre en place l’exploitation de sa marque est-il remis en question ?
Quelle que soit l’issue, cette décision permet de rappeler à tous les propriétaires de marques que leur monopole sur un nom nécessite une stratégie d’exploitation rapide et sérieuse, en plus de titres valides de propriété industrielle.
Pour contacter Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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