Droits et privilèges des auteurs dans le cadre des procédures collectives
Il est pour le moment difficile d’évaluer précisément l’impact financier de la crise sanitaire consécutive à la pandémie de Covid-19, sur les auteurs, littéraires, musiciens et plasticiens. Toutefois, il est évident que la mise en berne des activités culturelles et la fermeture de certains lieux publics (cinémas, théâtres, expositions et foires d’art ainsi que la prudence des spectateurs et des acheteurs), fragilise le monde de la culture et les auteurs en particulier. Corrélativement, les artistes et acteurs de la création, dont les revenus dépendent presque exclusivement des ventes ainsi que de l’exploitation pérenne des œuvres, se retrouvent en danger. À ces difficultés économiques, s’ajoute pour eux le risque d’être confrontés à la mise en procédure collective de leurs partenaires et parfois, cocontractants. Les droits des auteurs et leur privilèges dans le cadre de procédures collectives sont donc malheureusement d’actualité.
Leurs droits d’auteurs seront-ils payés ? Peuvent-ils reprendre leur liberté ?
L’articulation entre procédure collective et droit d’auteur est subtile. Le Code de la propriété intellectuelle comporte des dispositions dérogatoires au droit commun, mal connues des auteurs et des spécialistes des procédures collectives.
Il paraît utile de faire un point. Les artistes bénéficient de prérogatives leur permettant de recouvrir les droits qu’ils ont cédé à des entreprises en difficulté (I). En outre, la loi leur reconnaît un privilège général, garantissant le recouvrement de leurs créances et rémunérations, en particulier leurs droits d’auteurs (II).
I – Droit des procédures collectives et droit d’auteur
A) L’application des dispositions communes à la procédure collective aux contrats de droit d’auteur
1°) En cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire, la continuation des contrats en cours
Le droit commun de la procédure collective s’applique aux contrats de propriété intellectuelle.
Le principe est la continuation des contrats en cours. En ce sens, l’article L.622-13 I alinéa 1er du Code de commerce dispose que : « Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ». Cette disposition protège le débiteur en procédure collective d’une cessation d’activité en limitant la résiliation des contrats en cours.
Son application est étendue à la procédure de redressement judiciaire (par renvoi exprès de l’article L.631-14 du Code de commerce).
Mais l’obligation de poursuivre les contrats est compensée par l’obligation, pour le débiteur, d’en poursuivre l’exécution.
Par exception, le cocontractant peut mettre en demeure l’administrateur judiciaire pour qu’il prenne parti quant à sa poursuite ou à défaut de paiement du cocontractant, sauf accord de ce dernier pour poursuivre les relations contractuelles (article L.622-13 III du Code de commerce). À défaut de réponse sous un mois, le contrat en cours est résilié de plein droit.
En d’autres termes, le placement en sauvegarde ou en redressement judiciaire du cocontractant d’un auteur ne libère pas automatiquement ce dernier du contrat.
Au contraire, l’auteur doit exécuter le contrat et ne peut en solliciter la résiliation qu’en cas de carence de l’administrateur judiciaire à se prononcer sur sa continuation, ou à défaut de paiement par le débiteur.
2°) En cas de liquidation judiciaire
L’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire, n’emportent ni la résiliation, ni la résolution des contrats en cours (article L.641-11-1 du Code de commerce).
Des réserves identiques à celles édictées en matière de redressement ou de sauvegarde judiciaire sont toutefois prévues.
La résiliation de plein droit du contrat peut ainsi être obtenue (i) à défaut de prise de position du liquidateur judiciaire quant à sa continuation, (ii) à défaut de paiement du cocontractant ou (iii) lorsque la prestation du débiteur porte sur le paiement d’une somme d’argent, au jour où le cocontractant est informé de la décision du liquidateur de ne pas poursuivre le contrat.
B) Les dispositions spécifiques à la liquidation judiciaire de l’éditeur ou du producteur audiovisuel cessionnaire
Le Code de la propriété intellectuelle permet aux auteurs de récupérer leurs droits d’auteur après la liquidation judiciaire de leur producteur audiovisuel ou éditeur.
Des dispositions dérogatoires au droit commun des procédures collectives confèrent ainsi aux auteurs une faculté de résiliation anticipée des contrats d’édition ou de production audiovisuelle (1°) ainsi qu’un droit de préemption sur leurs œuvres (2°).
1°) Sur la faculté de résiliation anticipée des contrats d’édition et de production audiovisuelle
En matière d’édition, l’auteur ayant cédé ses droits à un éditeur dont l’activité a cessé depuis plus de trois mois, peut solliciter la résiliation de son contrat (article L.132-15 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle).
Cette disposition trouve écho en matière de production audiovisuelle (article L.132-30 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle).
L’auteur peut ainsi recouvrir par anticipation les droits qu’il a personnellement cédés à un éditeur ou à un producteur audiovisuel.
Cette faculté de résiliation n’est subordonnée à aucune formalité, ni condition autre que le constat de la cessation d’activité ou la liquidation de l’entreprise cessionnaire. Concrètement, il suffit à l’auteur d’adresser au mandataire liquidateur une lettre de résiliation.
Cette prérogative est par conséquent particulièrement protectrice des titulaires de droits, d’autant plus qu’elle peut être mise en œuvre concurremment à la préemption. À défaut d’incompatibilité entre ces droits, la faculté de résiliation unilatérale de l’auteur peut ainsi peser en sa faveur dans le cadre des négociations du prix de cession de son œuvre ou de ses exemplaires.
Toutefois, la résiliation peut interférer avec le déroulement de la procédure collective, voire nuire à la valorisation même de l’œuvre. Ainsi en est-il dans l’hypothèse où elle interviendrait en cours d’exploitation ou en présence d’éventuels co-auteurs.
L’exercice de la résiliation peut donc s’avérer délicat et doit impérativement faire l’objet d’une réflexion stratégique.
2°) Sur l’exercice du droit de préemption de l’œuvre ou de ses exemplaires
En cas de liquidation judiciaire de la société d’édition, l’auteur possède un droit de préemption sur tout ou partie des exemplaires fabriqués de son œuvre (article L.132-15 alinéa 6 du Code de la propriété intellectuelle). Le droit de préemption est également consacré en matière de production audiovisuelle (article L.132-30 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle).
Des mesures contraignantes permettent d’assurer la pleine efficacité de ce mécanisme. En ce sens, une vente à moindre prix des ouvrages fabriqués par une maison d’édition ne saurait être admise qu’après la mise en œuvre d’une procédure d’information de l’auteur, strictement encadrée. Le droit de préemption autorise ainsi l’auteur à acquérir les ouvrages de son œuvre fabriqués ou le support matériel de son film, ainsi que les droits cédés par d’éventuels co-auteurs.
En toute hypothèse, le prix de la cession sera fixé par commun accord des parties et à défaut, à dire d’expert. En cas de désaccord sur le prix entre les parties, ou si celui fixé par l’expert ne convient pas, l’auteur peut exercer sa faculté de résiliation unilatérale afin de recouvrer ses droits (à l’exclusion donc de ceux cédés par les co-auteurs et des supports matériels de son œuvre).
Ces dispositions protectrices, propres aux contrats d’édition et de production audiovisuelle, ne trouvent toutefois pas d’équivalent en droit commun de la propriété intellectuelle.
En dehors de ces cas particuliers, la protection des droits de l’auteur confronté aux difficultés de l’entreprise cessionnaire de ses droits apparaît donc moindre.
La continuation des contrats en cours étant de principe et leur résiliation de plein droit subordonnée à la satisfaction de conditions strictes, il est impératif que l’auteur mette en œuvre toutes les diligences nécessaires à la préservation de ses droits.
Il convient notamment d’interroger les organes de la procédure collective sur la continuation des contrats auxquels il est partie. Procéder dans les justes délais à la déclaration des créances de l’auteur auprès des représentants des créanciers ou du mandataire judiciaire à la liquidation de l’entreprise est également nécessaire. Un suivi rigoureux des paiements effectués par le cocontractant en difficulté est enfin recommandé.
La reconnaissance légale d’un privilège au bénéfice de l’auteur, lui conférant le droit d’être payé par préférence aux autres créanciers mêmes hypothécaires, participe d’ailleurs à cette sauvegarde.
II – Les auteurs, compositeurs et artistes, créanciers privilégiés
L’auteur-créancier bénéficie, pour ses redevances et rémunérations relevant de l’exploitation de ses oeuvres d’origine (les droits d’auteur) des trois dernières années, d’un privilège portant sur les meubles et immeubles de l’exploitant. Il est au même rang que ses salariés (article L.131-8 du Code de la propriété intellectuelle).
Il en résulte que les auteurs, compositeurs et artistes viendront, en cas de procédure collective, au quatrième rang sur les meubles et à titre subsidiaire au deuxième rang sur les immeubles de leur cocontractant.
Toutefois, ce privilège ne s’applique pas aux recettes anciennes de plus de trois ans.
Le privilège pleinement général des auteurs, compositeurs et artistes, peut s’avérer particulièrement favorable. À nouveau, sa mise en œuvre efficace suppose que l’auteur procède dans les délais à la déclaration de ses créances auprès des représentants des créanciers ou du mandataire judiciaire à la liquidation de l’entreprise.
L’auteur dispose ainsi de moyens procéduraux lui permettant de recouvrir les créances qu’il détient envers l’entreprise en difficulté.
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En conclusion, bien que les artistes et auteurs bénéficient de règles protectrices de leurs droits et intérêts dans le cadre des procédures collectives, leur mise en œuvre s’avère complexe.
Ils doivent réagir vite, dès les premières difficultés, pour satisfaire aux formalités et délais inhérents à une procédure collective.
Ils doivent faire des choix stratégiques et avertis entre résolution des contrats ou continuation.
À ces questions pourront s’ajouter celle de la revendication de leurs œuvres dans le cadre d’une procédure collective.
Olivier de Baecque, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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