Renommée d’une marque, déchéance et interdiction d’exploitation : l’affaire MONT BLANC
Le droit des marques admet la coexistence de signes en raison du principe de spécialité. Ainsi, MONT BLANC désigne depuis près d’un siècle des desserts et des produits de luxe. En revanche, une société russe voit prononcer à son encontre une interdiction d’exploitation de la marque MONT BLANC en France pour de la vodka. Un tel usage pourrait nuire à la renommée de la marque MONT BLANC.
Déchéance de marque et marque de barrage
La société Mont Blanc, créée en 1917 en Savoie, est titulaire de la marque MONT BLANC pour divers produits depuis 1985. Elle exploite cette marque pour des crèmes dessert. Elle coexiste depuis près d’un siècle avec les stylos, montres et autres produits de luxe MONT BLANC. C’est un exemple d’application du principe de spécialité, enseigné dans toutes les écoles.
Pourtant, elle n’entend pas coexister avec tout le monde. Une société russe dépose une marque MONT BLANC pour des boissons alcoolisées, en particulier des vodkas. La société française engage alors une procédure d’opposition à l’égard de la marque.
En parallèle, la société russe attaque en déchéance pour non-usage certaines classes de produits couvertes par la marque antérieure. La société Mont Blanc reconnaît d’elle-même ne pas avoir exploité la marque pour les boissons alcoolisées, assumant avoir revendiqué ces classes de produits, sans intention d’exploitation. La marque de barrage est une pratique destinée à priver un tiers de commercialiser la marque pour certains produits. Le titulaire estime qu’il lui était impossible de commercialiser des boissons avec alcool aux côtés de ses desserts pour enfants. Elle revendique donc un juste motif de non-usage.
La cour d’appel de Rennes, dans sa décision du 6 octobre 2020, confirme la déchéance de la marque antérieure MONT BLANC pour les produits non-exploités. Elle rejette l’argumentation relative à la marque de barrage autant qu’au juste motif de non-usage. En effet, la stratégie commerciale d’une société n’est pas un fait indépendant de l’entreprise. Pour autant, elle va prononcer l’interdiction d’exploitataion de la marque MONT BLANC pour des vodkas.
Coexistence de marques pour des produits de classes différentes ?
En revanche, la société Mont Blanc obtient l’interdiction d’usage sur le territoire français de la marque internationale pour des vodkas. La cour d’appel reconnaît le bien-fondé de la demande réalisée en vertu de l’article L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle : “la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.’
La renommée de la marque MONT BLANC est ancienne mais toujours actuelle. Le titulaire de la marque apporte des preuves de sa position de deuxième acteur de la crème dessert sur le marché français. Le nom MONT BLANC est donc associé à un produit laitier destiné à un jeune public. Aussi, l’exploitation pour des alcools, même si elle ne vise pas le même public, pourrait troubler le message publicitaire et nuire à son succès commercial.
Cela pourrait perturber le message promotionnel véhiculé depuis plusieurs décennies auprès d’un jeune public, non-consommateur d’alcool. En l’occurrence, un message qui présente les produits laitiers comme sains et dynamisants, alors qu’à l’inverse l’innocuité des boissons alcoolisées, a fortiori des alcools forts, est très contestée, à tout le moins par la communauté scientifique et médicale.
Par ailleurs, si certaines entreprises exploitent des boissons locales comme les “vins du Mont blanc” en raison de leur origine géographique, il n’en est rien pour de la vodka russe.
Ainsi, en dépit de la déchéance pour non-usage de la marque MONT BLANC, le titulaire obtient l’interdiction d’exploitation du nom en France pour des vodkas, compte tenu de la renommée de sa marque.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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