Les œuvres d’art au service de la mode
Les collaborations entre les artistes et l’univers de la mode sont une véritable tendance. La haute couture s’inspire, voire s’empare des œuvres d’art. Elles sont une source d’inspiration inépuisable pour les créateurs de mode mais la frontière est parfois poreuse entre l’inspiration et l’appropriation.
Yves Saint Laurent et Mondrian, Versace et Andy Warhol, Louis Vuitton et Jeff Koons… L’art et la mode gravitent l’un autour de l’autre. C’est d’autant plus vrai que les artistes peuvent désormais prendre la place des directeurs artistiques – Pharrell Williams chez Louis Vuitton, et les grandes marques créer des fondations artistiques : Cartier, Prada, Louis Vuitton ont créé des institutions où l’on ne distingue plus bien mécénat artistique et promotion.
Lorsque l’on évoque l’art et la mode, la robe Mondrian d’Yves Saint Laurent, créée en 1965, vient à l’esprit. Et il n’est pas le seul couturier à s’être inspiré des œuvres d’art picturales pour ses créations de mode. Les collections d’Elsa Schiaparelli incarnaient cette association avec des artistes ou des courants artistiques tels que le surréalisme.
Cette mouvance perdure et évolue vers une utilisation davantage promotionnelle. L’illustration la plus récente est sûrement la collaboration Louis Vuitton x Yayoi Kusama. Tout l’univers de l’artiste fut mobilisé pour recouvrir les produits de la marque et assurer sa promotion tapageuse.
Comment organiser de telles appropriations commerciales ? Le droit d’auteur distingue la reproduction sauvage d’une œuvre, de l’inspiration acceptable. Mais la limite est floue. Bien souvent, le contrat de licence sécurisera prudemment d’importants enjeux économiques pour les marques, et des royalties pour les artistes.
L’application classique du droit d’auteur pour protéger les œuvres de l’artiste
En principe, l’usage d’une œuvre sur une création nécessite de recueillir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première pour exploiter sa création en raison de sa protection par le droit d’auteur. Ainsi, reproduire un tableau sur un vêtement exige l’accord préalable du peintre. En revanche, reprendre un style, un genre, n’est pas sanctionné car les « idées sont de libre parcours ».
Copier « Les demoiselles d’Avignon » sur une cravate est donc sanctionnable. Tandis que créer une robe cubiste, un vêtement impressionniste ou un manteau pop est possible. En pratique, la distinction n’est pas toujours aisée. Elle est empreinte d’appréciation artistique et donc de subjectivité.
Voici une problématique plus complexe : même avec une autorisation, peut-on librement utiliser une œuvre pour un nouvel usage ? Comment calquer un tableau sur un vêtement sans altérer ses couleurs, son aspect ? Toute reprise de l’œuvre antérieure d’un auteur implique le droit au respect de l’œuvre.
Une œuvre ne peut être altérée sans l’accord de l’artiste. Ainsi, même avec une autorisation, des fautes peuvent être commises. Les licenciés de Jean-Charles de Castelbajac l’ont découvert à leurs dépens. Le couturier avait licencié ses créations pour des vêtements luxueux. Il découvrit que ses exigences n’avaient pas été respectées. Il assigna et la Cour d’appel de Paris lui donna raison le 10 décembre 2021 : la licenciée avait porté atteinte à son droit moral par la reproduction de ses dessins sur des produits textiles autres, et de catégorie inférieure (des t-shirts et des sacs en coton), que ceux qui étaient convenus. Ces modifications constituaient de véritables adaptations esthétiques des œuvres et, selon la Cour, une dénaturation de son univers créatif.
L’usage d’une œuvre antérieure peut être encadré par un contrat
Finalement, pour éviter tout risque de contrefaçon, les artistes, leurs ayants droits et les maisons de couture qui les démarchent, préfèrent encadrer l’usage de toute œuvre par un contrat. C’est d’autant plus prudent que l’utilisation des œuvres d’artistes est souvent associée à celui de leur nom. Ainsi, différentes clauses doivent figurer dans un contrat et sont négociées pour protéger au mieux les intérêts des artistes et des créateurs de mode. Chaque contrat est particulier, non standardisé. Leur rédaction relève davantage du sur mesure que du prêt-à-porter.
L’on peut toutefois dégager quelques problématiques majeures. Tout d’abord, le droit d’utilisation des œuvres est prévu pour :
- des usages spécifiques : sur internet, dans la presse, au sein de livres, etc ;
- des supports spécifiques : des vestes, des foulards, parfois toute une collection comportant des vêtements et accessoires,
- dans un nombre limité ou non.
Pour reprendre notre exemple, si Jean-Charles de Castelbajac avait consenti à un usage pour des articles de haute couture ou de prêt-à-porter de haute gamme, il n’en était rien de tee-shirts ou de produits d’une catégorie bien inférieure.
Les artistes peuvent aussi directement participer à la conception des articles de mode. Le plus souvent, ils exigeront que des prototypes des adaptations envisagées leurs soient soumis pour validation. Cette collaboration, en amont des diffusions, limite les difficultés. La rémunération devra être proportionnelle aux ventes si l’œuvre est purement reproduite sur un article vendu. Elle peut être forfaitisée en cas d’adaptations ou d’exploitations publicitaires, non directement valorisées par un prix.
Il convient enfin de déterminer la durée de la collaboration et son étendue géographique (monde, Europe, France…). Les périodes habituellement protégées par le contrat sont liées à la saisonnalité de l’industrie de la mode. Elles couvriront une ou plusieurs saisons, des défilés aux campagnes de communication, jusqu’à la commercialisation. Il faudra également prudemment fixer des délais maximums d’écoulement des stocks. Enfin la marque pourra souhaiter une exclusivité que l’auteur devra cantonner.
Souvent, ce contrat évoquera non seulement les œuvres reprises sur les créations de la maison de couture, mais également celles pouvant être utilisées dans le cadre du défilé ou de la campagne de promotion. C’est alors tout un évènement artistico-promotionnel qui est encadré.
Inutile d’espérer reproduire des œuvres en arrière-plan d’une publicité sans accord préalable. A titre d’exemple, la Fondation Louis Vuitton a récemment organisé une exposition Joan Mitchell. Par la suite, les œuvres présentées par l’organisme à but caritatif sont apparues sur des publicités pour la marque. Les ayants droits de Joan Mitchell, ont accusé la marque de « reproduction et utilisation non autorisées et illégales d’œuvres de l’artiste Joan Mitchell », et la campagne a cessé. Cela démontre l’importance de démarcher les auteurs des œuvres dont les créateurs ou maisons de couture souhaitent faire l’utilisation.
In fine, l’usage des œuvres d’artistes plasticiens dans la mode comme inspiration, pour créer des vêtements ou pour profiter commercialement de leur notoriété, doit faire l’objet de contrats établissant un cadre légal rassurant.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°604 en octobre 2023
Olivier de Baecque, associé
Avocat Propriété Intellectuelle
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Diane Remy Mondange, collaboratrice
Avocate Propriété Intellectuelle