Le régime du livre de police : des obligations exigeantes pour les professionnels du marché de l’art
La sécurité des transactions et la traçabilité des œuvres sont parmi les principales préoccupations actuelles du marché de l’art. Par conséquent, la tenue du livre de police, revêt une importance fondamentale pour les professionnels et pourrait faire l’objet de contrôles renforcés. Comment être en règle ?
Afin d’assurer un contrôle de la provenance des biens et de lutter contre le trafic d’objets d’art, certains professionnels doivent tenir un registre des biens qu’ils reçoivent. Également dit registre d’objet mobiliers (ROM), le livre de police est un document qui recense les meubles d’occasion achetés, vendus ou reçus en dépôt.
Les informations inscrites au livre de police ont pour finalité d’identifier précisément les biens reçus par chaque professionnel ainsi que les personnes qui les leur ont apportées. Elles doivent permettre d’établir la provenance des objets concernés et de garantir ainsi leur traçabilité. Le registre a été conçu comme un instrument de lutte contre le trafic, le vol ou le recel. Les professionnels peuvent en effet reconnaître plus aisément un objet d’origine suspecte voire illégale, en interrogeant le vendeur sur les informations devant figurer au livre de police. Le registre constitue aussi un outil de lutte contre la fraude fiscale.
Cet instrument de contrôle ancien prend tout son sens aujourd’hui, compte tenu de l’importance attachée à la provenance et la traçabilité des œuvres, ainsi qu’à la lutte contre les trafics d’antiquités et les spoliations. Cette actualité rend souhaitable d’en expliquer le fonctionnement.
Les professionnels soumis à l’obligation de tenir un livre de police
L’obligation de tenir un livre de police s’impose aux professionnels qui se livrent à la revente de meubles d’occasion à titre habituel (ci-après, « Professionnel »), personnes physiques ou morales « dont l’activité professionnelle comporte la vente d’objets mobiliers usagés ou acquis à des personnes autres que celles qui les fabriquent ou en font le commerce » (article 321-7 du Code pénal). Lorsque cette activité est exercée par une société, le registre est tenu par ses dirigeants. Dans le cadre du marché de l’art, le régime concerne principalement les antiquaires, les brocanteurs, les opérateurs de ventes volontaires et les marchands.
Au contraire, ne sont pas soumis à cette obligation :
- les commerçants, s’ils vendent occasionnellement des biens acquis auprès d’antiquaires ou de brocanteurs ;
- les particuliers dont l’activité de vente de biens d’occasion reste sporadique ;
- les galeristes, quand ils présentent des œuvres obtenues directement des artistes (« premier marché »).
En revanche, les galeristes tiennent un livre de police pour leur activité d’achat-revente (« second marché »). Mais ces acteurs du marché de l’art doivent tout de même être vigilants quant à la provenance des objets qu’ils négocient.
Les modalités d’ouverture du livre de police
Avant de débuter son activité, chaque Professionnel soumis à l’obligation de tenir un livre de police doit procéder à une déclaration auprès de la préfecture ou de la sous-préfecture de son lieu d’exercice (article R.321-1 du Code pénal). Il indique à cette fin :
- ses nom et prénom,
- ses date et lieu de naissance,
- sa nationalité,
- le lieu d’exercice de son activité,
- les statuts de son entreprise accompagnés de son numéro SIREN.
Un récépissé est remis au déclarant afin d’attester du respect de la formalité. Il doit impérativement être conservé car sa présentation peut être exigée par les autorités compétentes lors d’un contrôle.
En cas de changement du lieu d’exercice de l’activité, une nouvelle déclaration est effectuée soit au commissariat de police, soit à la mairie du lieu que le déclarant quitte ou de celui où il s’établit. Enfin, lorsqu’un Professionnel exerce son activité en plusieurs lieux, il doit tenir un registre dans chacun de ses établissements et donc procéder à autant de déclarations.
Les modalités de tenue du livre de police
Le livre de police doit être rigoureusement tenu, et ce, au jour le jour et à mesure de la réalisation des opérations d’achat, de vente ou de dépôt. Le registre peut être physique ou informatique. Les règles de présentation sont alors distinctes.
Le registre de police physique
Il se présente comme un livre relié dont les feuilles sont inamovibles et généralement numérotées. Il est coté et paraphé par les autorités compétentes lors de la déclaration d’activité du Professionnel.
Les mentions qui y figurent sont rédigées à l’encre indélébile. Il n’est pas possible de le corriger (y compris par l’apposition de correcteur blanc), de le raturer ou d’utiliser des abréviations. Le livre de police ne doit pas non plus faire l’objet de rajouts, qu’il s’agisse d’inscriptions ultérieures ou de l’annexation de feuilles séparées.
Il faut donc être clair et précis dans sa rédaction. Le registre est enfin conservé pendant cinq ans à compter de sa clôture.
Le registre de police informatique
La tenue d’un registre informatique est possible (article R.321-6-1 du Code pénal). Elle est même obligatoire pour l’opérateur de ventes volontaires. Concrètement, il faut recourir à un logiciel garantissant l’intégrité, l’intangibilité et la sécurité des données enregistrées. Le logiciel choisi doit assurer l’intangibilité des fiches.
Le livre informatique se substitue alors au registre physique. Les mêmes informations y sont renseignées. Le registre informatique présente deux spécificités : d’une part, les données sont conservées dix ans à compter de leur enregistrement ; et d’autre part, chaque consultation du registre est enregistrée : date, heure, objet de la consultation et identité du consultant sont conservés pendant un an.
Les mentions obligatoires du livre de police
L’antiquaire, le brocanteur ou le marchand, est tenu d’inscrire au livre de police des informations sur les objets qu’il a achetés, ainsi que sur l’identité des personnes qui les lui ont vendues.
Les informations sur les objets acquis
Premièrement, chaque meuble acquis fait en principe l’objet d’une inscription distincte au livre de police. Le registre doit ainsi mentionner :
- la nature de l’objet (peinture, sculpture, meuble, etc.) ;
- sa provenance, à propos de laquelle le Professionnel ne doit pas manquer d’interroger son vendeur ;
- le prix d’achat et le mode de règlement (à défaut d’achat, notamment en cas d’échange ou de dépôt, une estimation de la valeur vénale de l’objet est renseignée) ;
- la date d’acquisition.
Le Professionnel attribue également à chaque objet un numéro d’ordre. Cette référence est reportée sur le livre de police et apparaît sur l’objet. En outre, il inscrit au registre une description très précise de chaque meuble. Elle comprend « ses caractéristiques ainsi que les noms, signatures, monogrammes, lettres, chiffres, numéros de série, emblèmes et signes de toute nature apposés sur lui et qui servent à l’identifier » (article R.321-3 du code pénal). Enfin, il inscrit au livre de police les mesures de protection du bien dont il a connaissance, comme son classement ou son inscription aux monuments historiques.
Par exception, les objets dont la valeur unitaire est inférieure à 60 € peuvent être regroupés en lots. Ils sont alors inscrits sous une mention unique et avec une description commune. Cette dérogation est très utile pour de petits articles usuels de brocante (vaisselle, couverts, timbres, monnaies, etc.).
Les opérations portant sur des objets en métal précieux doivent être inscrites au registre sous une forme qui permette de les différencier (par exemple, avec une couleur distincte). Si ces opérations deviennent l’activité principale du Professionnel, alors il devra tenir un registre spécial, au même titre que pour la vente d’armes.
L’identité des clients
Deuxièmement, concernant l’identité des clients, les mentions exigées diffèrent selon qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une société. Elles devront toutefois être systématiquement renseignées.
Lorsque le client est une personne physique, il faut inscrire ses nom et prénoms, l’adresse de son domicile, ainsi que sa qualité (particulier ou professionnel, avec le cas échéant sa profession). Surtout, le Professionnel doit demander une pièce d’identité dont il inscrira les références précises (article R.321-3 du Code pénal). Lorsque le Professionnel connaît le vendeur ou qu’il n’est pas en mesure d’exiger une pièce d’identité, il peut exceptionnellement inscrire « personne honorablement connue de moi ». Mais cette mention engage sa responsabilité. Il n’est donc pas nécessaire d’accabler le collectionneur notoire de telles démarches. Enfin, si le Professionnel acquiert un bien en vente aux enchères publiques, il doit indiquer la date de l’achat et les renseignements relatifs au commissaire-priseur en charge de la vente.
Lorsque le vendeur est une personne morale, le Professionnel doit renseigner « la dénomination et le siège de celle-ci ainsi que les nom, prénoms, qualité et domicile du représentant de la personne morale qui a effectué l’opération pour son compte, avec les références de la pièce d’identité produite » (article R.321-3 du Code pénal).
Les sanctions du défaut de tenue du livre de police
La non-tenue du livre de police, l’omission (volontaire ou non) d’informations sur celui-ci, de même que l’apposition d’une mention inexacte ou le refus de présenter le registre en cas de contrôle des autorités compétentes, peuvent entraîner des sanctions.
Sur le plan administratif, une interdiction d’exercice professionnelle, temporaire ou définitive, peut notamment être prononcée.
D’un point de vue pénal, les sanctions vont jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 30.000 € d’amende. En pratique, les juges condamnent rarement cette infraction de manière isolée. Au contraire, elle est souvent sanctionnée avec une multiplicité et une répétition d’infractions, généralement de recel ou de tromperie.
Mais le livre de police est également un indice constitutif ou exclusif d’autres infractions. La bonne tenue du registre est généralement interprétée comme un signe de bonne foi de l’antiquaire, du brocanteur ou du marchand concerné. Au contraire, le Professionnel qui s’est abstenu d’inscrire un bien à son livre de police ou ne l’aurait indiqué qu’imparfaitement (descriptifs imprécis, prix partiels, etc.) est présumé de mauvaise foi. Les juges tiendront alors compte des circonstances de la vente, comme le mode de règlement utilisé, les conditions de présentation du meuble, ou encore les informations quant à sa provenance, pour envisager ou écarter une incrimination de recel.
La tenue rigoureuse du livre de police est par conséquent favorable aux Professionnels concernés : elle est gage de sérieux et de transparence, elle les protège de poursuites.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°601 en juin 2023