Mickey est-il libre de droit ? Le domaine public des droits de l’auteur
Sherlock Holmes, Zorro, Minnie, Winnie l’ourson, sont tous tombés dans le domaine public et Mickey depuis le 1er janvier 2024. Tout le monde peut désormais « utiliser » leurs images à but lucratif. Les artistes s’en emparaient déjà à travers le pop art et l’appropriation art. La petite souris a été copiée par Rotella, Lichtenstein, Warhol ou Bansky. Ces artistes le pouvaient-ils ? Sont-ils plus sereins depuis cette année ? Comment Walt Disney défend-il cette poule aux œufs d’or ?
Que représente le domaine public en droit d’auteur ?
Le droit d’auteur, dont dispose un auteur ou ses ayants droit sur ses œuvres originales, recouvre, en droit français, ses droits moraux et patrimoniaux. Le droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. En revanche, les droits patrimoniaux s’éteignent 70 ans après le décès de l’auteur en France. Aux Etats-Unis, c’est le droit d’auteur en son entier qui s’éteint 95 ans à compter de la publication de l’œuvre. Elle tombe alors dans le domaine public.
Par conséquent, l’œuvre dans le domaine public n’est plus l’exclusivité de son auteur. N’importe qui peut la reproduire, l’exposer, l’exploiter. Cette durée de protection limitée permet de trouver un équilibre entre la récompense de la créativité par une exclusivité au bénéfice de l’auteur et la nécessité de pouvoir s’inspirer d’œuvres antérieures pour créer : Racine copie les tragédiens grecs, Picasso les Femmes d’Alger d’Eugène Delacroix, Walt Disney, Charles Perrault et Collodi…
Comment Walt Disney a-t-il protégé Mickey ?
Mickey Mouse n’est pas éternel. Sa première apparition date de 1928 dans les courts-métrages « Steambot Willie » et « Plane Crazy ». La souris apparaissait en noir et blanc, en short blanc et la queue dépassant. Elle a rencontré un formidable succès et Walt Disney a voulu protéger cette source de revenus considérables de différentes manières.
D’abord, Disney a tout mis en œuvre pour protéger ses droits d’auteur et reculer leur date d’expiration : ingénieusement, Disney a fait évoluer son personnage et ajouté des caractéristiques originales. Les versions et adaptations ultérieures du personnage, elles, restent protégées. Attention donc, à ne pas représenter Mickey en short rouge, avec des chaussures jaunes et des gants blancs.
Ensuite, grâce au lobbying, la durée de protection du droit d’auteur a augmenté de par la loi. Depuis le Copyright Term Extension Act de 1998. Cette loi est d’ailleurs connue sous le nom de « Mickey Mouse Protection Act » en raison de l’intervention de la société Walt Disney. Son année d’adoption était la date initiale de tombée dans le domaine public de la fameuse souris.
L’entrée dans le domaine public a-t-il une incidence sur l’art contemporain ?
L’utilisation d’une œuvre dans le domaine public reste limitée. Le dessin de Mickey Mouse peut désormais être utilisé sans autorisation préalable de Disney pour des créations nouvelles, œuvres littéraires, œuvres d’art, produits dérivés, voire produits cinématographiques ou télévisuels.
En France, ces exploitations devraient également respecter le droit moral de l’auteur sur l’œuvre, et notamment le droit au respect, qui continue d’exister. Tel n’est pas le cas aux Etats-Unis. Winnie l’ourson, à peine entré dans le domaine public en 2022, avait été repris dans le film d’horreur Winnie-The-Pooh : Blood and Honey de Rhys Frake-Waterfield, éloigné de l’univers enfantin du personnage…
Les utilisations d’une œuvre en amont de son entrée dans le domaine public : l’exemple de l’appropriation art
Avant l’entrée dans le domaine public, la copie était risquée. En principe, il n’est donc pas possible d’utiliser une œuvre protégée par le droit d’auteur en amont de sa tombée dans le domaine public. Un courant d’art contemporain, l’appropriation art, a toutefois émergé dès le début du XXe siècle. Il se matérialise notamment à travers les œuvres de Andy Warhol, Elaine Sturtevant, ou encore Sherie Levine, qui copient de manière parfaitement intentionnelle des œuvres d’autres créateurs.
En droit français, elles sont difficilement acceptables sauf à travers l’exception de parodie. En droit américain, elles sont tolérées dans le cadre légal du fair use. Cette pratique artistique implique l’utilisation d’œuvres préexistantes par des artistes pour créer de nouvelles œuvres. Se pose alors la question de la coexistence des notions de créativité et d’originalité avec les limites légales imposées par le droit d’auteur. L’intention des artistes appartenant à ce courant peut varier : certains cherchent à rendre hommage à l’œuvre originale, ou son auteur, tandis que d’autres critiquent ou questionnent son contexte ou son sens.
Ce courant suscite diverses critiques. Certains soulignent le risque de plagiat, arguant que la réutilisation d’œuvres existantes, sans transformation substantielle, constitue une violation des droits d’auteur. Des affaires ont mis en lumière les tensions entre droits d’auteur et liberté d’expression artistique.
Jeff Koons a ainsi été condamné pour une sculpture représentant une femme et un cochon dans la neige inspirée d’une photographie publicitaire Naf Naf. Le juge a considéré que le caractère transformatif de sa sculpture, l’exception de parodie et la liberté d’expression, argués par l’artiste, ne pouvaient être retenus en raison des fortes similitudes avec la photographie originale (CA Paris, 23 février 2021, n°15/02536).
A l’inverse, le tribunal judiciaire de Rennes a retenu l’exception de parodie s’agissant de l’utilisation du personnage de Tintin dans des peintures inspirées des œuvres d’Edward Hopper. L’intention de l’artiste était ici de questionner la vie amoureuse de Tintin et il n’y avait pour le tribunal aucun risque de confusion avec les œuvres originales (TJ Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478).
Aux Etats-Unis, Richard Prince fut au cœur d’un célèbre litige pour avoir reproduit des photographies antérieures de Patrick Cariou. Le 25 avril 2013, une Cour d’appel fédéral des Etats-Unis a toutefois estimé que 25 des œuvres de l’artiste relevaient du fair use. Elle a notamment retenu l’esthétique radicalement différentes entre les œuvres originales et les œuvres de Richard Prince, ainsi que l’ajout de collages et de couleurs aux photographies. Mais concernant cinq autres œuvres en conflit, considérant qu’elles étaient très peu transformées, la cour a renvoyé les parties devant le juge du fond. Un accord, dont les clauses sont confidentielles, a depuis été trouvé entre elles.
L’entrée de Mickey dans le domaine public résout en partie ces tensions ; mais des préoccupations émergent également sur l’utilisation potentiellement irrespectueuse de Mickey qui pourrait diluer son image ou ne pas correspondre à l’esprit original du personnage. Il sera intéressant de voir comment les créateurs et les entreprises utiliseront la souris dans leurs œuvres, et comment la Walt Disney Company continuera de protéger son personnage. Reproduire Mickey Mouse demandera d’agir avec précaution.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°609 en mars 2024
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