Prescription : incidence sur les actions en annulation et en responsabilité
Le temps qui passe à des conséquences : combien de temps peut-on agir pour faire annuler une vente en cas de défaut d’authenticité ? Il s’agit de veiller à respecter les délais de prescription, soit la période maximale durant laquelle une personne peut faire valoir ses droits ou ses prétentions.
La prescription applicable aux différents acteurs du marché de l’art n’est pas harmonisée. La prescription de droit commun s’applique au vendeur et à l’acheteur (I). Les maisons de vente aux enchères et leurs experts bénéficient d’une prescription courte, de cinq ans à compter de l’adjudication (II). Enfin, entre certaines parties, il est possible d’aménager contractuellement les délais de prescription (III).
La prescription de droit commun, applicable à la vente d’œuvres d’art
Les ventes d’œuvres d’art sont soumises à la prescription de droit commun, enfermée dans un double délai.
Un délai glissant de cinq ans
Un délai « glissant » de cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (Article 2224 Code civil). Concrètement, le point de départ de ce délai suppose que l’intéressé connaisse, ou soit en mesure de connaître, les faits fondant l’action qu’il peut engager.
Ainsi, le délai de l’action en nullité de la vente d’une œuvre d’art pour erreur sur la substance ne court que du jour où cette erreur a été découverte, et non simplement soupçonnée. La jurisprudence considère majoritairement que le seul fait de suspecter le défaut d’authenticité d’une peinture ne suffit pas à faire courir le délai. Il convient de disposer d’éléments permettant de corroborer le défaut d’authenticité allégué, tels qu’une expertise ou le refus par un comité d’artiste d’émettre un certificat d’authenticité.
Un délai butoir de vingt ans
Un délai « butoir » de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit (Article 2232 Code civil). Le point de départ de ce délai est l’objet d’un débat doctrinal : certains estiment qu’il correspond à la naissance du droit substantiel, soit le jour de la vente par exemple, et d’autres à la naissance du droit d’agir en justice, soit le jour de la découverte du vice permettant d’agir. Une partie majoritaire de la doctrine retient la première option, qui rend le point de départ du délai certain, et compatible avec le délai glissant. La seconde option pose problème : si le délai butoir courait à compter de la naissance du droit d’agir en justice, cela créerait un second délai butoir, rendant les actions potentiellement imprescriptibles, au détriment de la sécurité juridique.
Ainsi, l’acheteur peut demander l’annulation de la vente pour erreur sur la substance durant cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaitre les faits fondant l’action (délai glissant), dans la limite de vingt ans à compter de la vente (délai butoir). Durant ce délai, il pourra poursuivre un marchand, vendeur de gré à gré, mais aussi le vendeur dans le cadre d’une vente aux enchères.
De même, l’expert qui délivre un certificat d’authenticité erroné, sans lien avec une vente aux enchères, peut voir sa responsabilité engagée sur ce fondement pendant cinq ans à compter de la découverte de l’erreur (délai glissant) dans un maximum de vingt ans à compter du certificat (délai butoir).
La prescription courte, applicable aux actions en responsabilité liées aux prisées et ventes aux enchères
Les actions en responsabilité civile engagées à l’occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires, contre les sociétés de ventes volontaires, les experts et les commissaires de justice sont soumises à une prescription courte de cinq ans, dérogatoire au droit commun (article L. 321-17 du Code de commerce). Le délai de cette prescription brève court à compter d’un évènement certain et précis : la vente ou la prisée (c’est-à-dire l’estimation).
Les professionnels des enchères bénéficient donc d’une prescription brève, bien plus avantageuse que la prescription de droit commun, applicable aux autres acteurs du marché de l’art, marchands, galeristes ou experts, et au contentieux d’annulation de la vente entre les clients.
Ainsi, l’action en annulation d’une vente aux enchères pour erreur sur la substance, qui concerne le vendeur et l’adjudicataire, seules parties au contrat de vente, pourra être introduite (délai glissant) alors que la responsabilité de la société de vente aux enchères, uniquement signataire d’un mandat avec le vendeur, ne pourra plus être engagée au-delà de cinq ans à compter de la vente (prescription courte).
Il peut paraitre paradoxal que le client, non professionnel, qui confie une expertise et une vente à un opérateur de vente aux enchères soit responsable plus longtemps que le professionnel à qui il a fait confiance.
La possibilité d’un aménagement conventionnel de la prescription
Par principe, la prescription peut être aménagée par contrat. Par exception, elle ne peut être aménagée lorsque le contrat est conclu entre professionnel et consommateur ou lorsque la prescription est relative à la responsabilité des opérateurs de vente, commissaires-priseurs et leurs experts.
L’article 2254 du Code Civil prévoit que « la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans ».
Les professionnels (marchands, experts, courtiers, maisons de vente etc.) peuvent raccourcir conventionnellement la prescription dans un contrat entre eux. S’ils le souhaitent, il leur suffit de limiter le délai de prescription par des mentions idoines sur leurs actes contractuels (certificats d’authenticité, devis, factures…). De même, deux non professionnels peuvent aménager la prescription, par exemple dans une vente de gré à gré.
En revanche, un professionnel ne peut opposer de telles stipulations à un consommateur : « Les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent pas, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci » (article L. 218-1 du Code de la consommation). L’objectif du législateur est de protéger la partie faible au contrat, qui ne dispose souvent d’aucun pouvoir de négociation.
Enfin, bien que la loi ne soit pas claire sur ce point, la doctrine paraît hostile à raccourcir le délai butoir de 20 ans qui serait d’ordre public, puisqu’il a pour fondement de renforcer la sécurité juridique. Selon elle, il semble contraire à cet objectif de pouvoir étendre ce délai au-delà de vingt ans. De la même manière, elle considère que raccourcir ce délai butoir pourrait porter atteinte au droit d’accès au juge de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En définitive, harmonisation et cohérence de la prescription sur le marché de l’art restent imparfaites. Mais la France a des délais très longs.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°603 en septembre 2023