L’obligation des États membres de l’Union européenne de contribuer à la protection des indications géographiques : l’affaire « FETA »
Dans une affaire récente, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rappelle que les États membres de l’Union européenne (UE) ont l’obligation d’agir afin de protéger les indications géographiques enregistrées sur leur territoire. Ainsi, les denrées produites sur le territoire d’un État membre et désignées sous une appellation d’origine protégée (AOP) doivent satisfaire aux conditions posées par le cahier des charges de cette appellation. Il incombe alors à chaque État membre de s’opposer à l’utilisation illicite d’une AOP pour la désignation de produits n’en bénéficiant pas, y compris lorsque ces produits sont destinés à l’exportation vers des pays tiers à l’UE.
L’utilisation illicite d’une appellation d’origine protégée (AOP)
En droit communautaire, une AOP est une dénomination qui permet de rattacher un produit à son lieu d’origine, qu’il s’agisse d’une région ou d’un territoire national. Ce produit doit présenter des qualités ou des caractéristiques qui sont dues à son milieu géographique de production. Enfin, sa production doit se dérouler dans une aire géographique strictement délimitée (Règlement (CE) n°1151/2012, Art. 5, 1. a)).
Le signe distinctif de l’AOP garantit ainsi le savoir-faire et la typicité rattachés à un produit. Il doit être protégé, car il assure au consommateur l’origine et la qualité du produit concerné. L’utilisation d’une AOP est donc encadrée : il est interdit d’en faire usage pour désigner un produit non couvert par l’enregistrement, et ce, quelle que soit l’utilisation concernée (Règlement (CE) n°1151/2012, Art. 13, 1. a)).
Pour bénéficier d’une AOP, un produit doit donc satisfaire au cahier des charges de l’appellation concernée. Dès lors, il incombe aux États membres de prendre les mesures appropriées afin de faire cesser toute exploitation illégale d’une appellation sur leur territoire (Règlement (CE) n°1151/2012, Art. 13, 3.).
À ce titre, la dénomination « Φέτα » (Feta) est notamment inscrite dans le registre des appellations d’origine protégées par le droit de l’UE depuis 2002.
Cette AOP est réservée au territoire de la Grèce. Elle désigne un fromage fabriqué à partir de lait pasteurisé de brebis et de chèvres, obtenu à partir de caillé et affiné en saumure, soit en le plongeant dans une eau fortement concentrée en sel. La Feta présente un aspect solide et ferme, ainsi qu’une couleur blanche ivoire. Elle est immédiatement assimilée à la cuisine traditionnelle grecque.
En raison de la délimitation géographique de l’AOP Feta, les producteurs de fromage de nombreux pays de l’UE ont été contraints de renoncer à l’emploi de la dénomination pour désigner leurs productions. Quelques irréductibles ont tenté de résister, en poursuivant l’usage de ce signe pour la commercialisation de fromages destinés exclusivement à l’exportation vers des pays tiers à l’UE.
Mais dans sa volonté constante de renforcer la protection des indications géographiques, la CJUE a condamné cette pratique, ainsi que la passivité des États membres qui n’agiraient pas pour y mettre un terme.
Les États membres de l’UE doivent assurer la protection active des appellations d’origine protégées (AOP)
En l’occurrence, des producteurs danois produisent un « fromage Feta danois », fabriqué sur le territoire du Danemark puis exporté dans des pays tiers à l’UE en vue de sa commercialisation. Évidemment, les fromages ne satisfont pas au cahier des charges de l’AOP Feta, puisqu’ils ne proviennent pas de Grèce… L’usage de ce signe apparaît dès lors illicite.
Dans ces circonstances, un signalement est effectué par les autorités grecques devant la Commission européenne (CE), institution chargée d’assurer la mise en œuvre des politiques communautaires. Mais le Danemark soutient ses producteurs nationaux et refuse de les sanctionner, au motif que les fromages concernés ne seraient pas vendus sur le territoire de l’UE. Le Royaume du Danemark considère à cet égard que le signe « Feta » n’étant pas protégé dans les pays tiers à l’UE en cause, l’interdiction d’exploiter cette appellation n’a pas vocation à s’appliquer.
Finalement, un recours en manquement est initié devant la CJUE à l’encontre du Danemark : en permettant à ses producteurs nationaux d’utiliser le signe « Feta » pour désigner un fromage ne satisfaisant aux conditions du cahier des charges de cette appellation, le Danemark aurait omis d’agir afin d’arrêter la pratique litigieuse. Il manquerait ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’UE.
Afin d’assurer l’efficacité et la cohérence du régime communautaire des AOP, la CJUE procède à une interprétation stricte de la réglementation applicable.
Dans une décision du 14 juillet 2022 (C-159/29), la CJUE retient ainsi qu’ « en ayant omis de prévenir et d’arrêter l’utilisation, par les producteurs laitiers danois, de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Feta » pour désigner du fromage ne répondant pas au cahier des charges de cette AOP, le Royaume du Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent ». Les États membres de l’UE sont par conséquent tenus d’assurer la protection effective des AOP. Par la même occasion, la CJUE confirme que la protection des indications géographiques s’applique même dans le cas où les produits litigieux fabriqués sur le territoire de l’UE sont exclusivement destinés à être commercialisés dans des États tiers.
À nouveau, la CJUE renforce la protection accordée à l’AOP en précisant l’étendue territoriale de son application. Sa décision oblige concrètement les États membres de l’UE à faire cesser les utilisations illicites d’AOP pour la désignation de produits fabriqués sur le territoire européen, peu importe la commercialisation projetée.
Alexandre Choquet, collaborateur
Avocat Propriété Intellectuelle