Les conséquences de la révocation du mandat de vente du commissaire-priseur : quand le vendeur d’un Saint Barthélémy de l’entourage de Vélasquez change d’avis
Le commissaire-priseur, mandaté pour la vente d’une œuvre, entreprend des diligences aux fins de l’expertiser et de la valoriser, imposant parfois des investissements conséquents pour aboutir à une attribution prestigieuse.
Mais il arrive que le vendeur retire ensuite l’œuvre. Il prive ainsi le professionnel de la rémunération de son travail et lui cause un préjudice.
Un jugement récent démontre l’intérêt d’un mandat de vente, précis et bien rédigé, afin d’obtenir une indemnisation et la sécurisation de son paiement en cas de révocation du mandat (Tribunal judiciaire de Metz, 7 novembre 2024, n°23/02095).

En l’espèce, les vendeurs confient à une maison de ventes un tableau représentant un saint, daté du XVIIème siècle. Le mandat de vente prévoit l’accord des vendeurs pour une restauration conservatoire et une analyse technique, aux fins d’expertise. Il stipule aussi que « l’estimation résultant de cette expertise se substituera[it] de plein droit entre les parties à la valeur estimative mentionnée dans ce mandat ». Une indemnité de rupture du mandat est également prévue, avec pour assiette la moyenne des estimations basse et haute de l’œuvre.
Or, l’expertise établit que l’œuvre est d’origine espagnole, un Saint-Barthélemy peint par un proche de l’entourage de Vélasquez. Initialement estimée 10.000 à 20.000 euros, l’œuvre est réévaluée entre 60.000 et 80.000 euros. Les vendeurs retirent le tableau de la vente, invoquant leur volonté de le conserver. Le commissaire-priseur demande le règlement des frais exposés (restauration, expertise, transport, publicité, etc.) et de l’indemnité de rupture (7,5 % de l’estimation moyenne). Il oppose un droit de rétention de l’œuvre jusqu’au complet règlement. Les vendeurs contestent, invoquant notamment le caractère abusif du droit de rétention, le défaut d’information sur les frais et le caractère incertain de l’estimation finale.
La libre révocation du mandat de vente contre indemnisation
Le mandat est, par principe, un contrat librement révocable à tout moment par les parties, sans qu’un motif ne soit nécessaire (art. 2004 du Code civil). Cette liberté s’applique tant au vendeur, mandant, qu’au mandataire, qui peut renoncer au mandat (art. 2003 du Code civil). C’est par exemple le cas d’un commissaire-priseur qui restituerait une œuvre au vendeur avant une vente, en raison d’un doute sérieux quant à son authenticité (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 – chambre 13, 1er décembre 2021, n° 19/00979).
Mais, la révocation du mandat de vente ne dispense pas les parties de leurs obligations, en cas de retrait de l’œuvre avant la vente.
En l’espèce, les vendeurs du Saint-Barthélémy ont exercé leur droit de révocation avant les enchères, mais après la réalisation de plusieurs prestations prévues au contrat (restauration, expertise, publicité). S’ils sont libres de ne pas vendre, ils doivent néanmoins supporter les conséquences contractuelles et légales de ce choix.
Le remboursement des frais engagés
D’une part, le mandant doit indemniser le mandataire des dépenses engagées dans l’exécution du mandat (art. 1999 du Code civil). En l’absence de faute du commissaire-priseur, l’intégralité des frais engagés doit être remboursée, sous réserve d’éventuels plafonds contractuels. Ici, à l’issue d’un décompte précis, le tribunal condamne les vendeurs à rembourser 5.046,80 euros de frais, dûment justifiés (transport, restauration, photographies, frais d’expertise, restauration, communication). La facture du cabinet d’expert, bien que justifiée, n’a pas été remboursée intégralement au commissaire-priseur : il est fait application du mandat prévoyant que les vendeurs en supporteraient les honoraires à hauteur de 5 % HT de l’estimation moyenne de l’œuvre, en cas de révocation. Il est ainsi prudent de réunir des justificatifs et de bien rédiger le contrat.
L’application de l’indemnité de rupture
D’autre part, le mandat de vente prévoyait une indemnité de rupture, calculée sur l’estimation moyenne de l’œuvre. Le tribunal a qualifié cette disposition de clause pénale, par laquelle une partie s’engage à verser une somme forfaitaire à l’autre en cas d’inexécution de ses obligations (art. 1226 et s. du Code civil). Le juge peut réviser le montant de cette pénalité s’il le juge manifestement excessif ou dérisoire. Mais la qualification de « clause pénale » parait discutable ; la clause se bornait en effet à prévoir la réparation du préjudice résultant de la rupture anticipée du contrat, en dehors de toute inexécution. Elle s’inscrivait donc davantage dans une logique indemnitaire que punitive.
Le tribunal a validé l’application de l’indemnité, estimant la clause insérée dans le mandat claire, précise, sans être manifestement excessive. L’indemnité a été calculée sur la base de l’estimation finale, établie après expertise (60.000/80.000), soit 5.250 euros, correspondant à 7,5 % HT de l’estimation moyenne (70.000 euros). Cette solution peut surprendre, dans la mesure où les vendeurs n’avaient pas connaissance de cette estimation finale lors de la signature du mandat de vente. Mais ils avaient contractuellement accepté que cette estimation se substitue à celle initialement indiquée (10.000/20.000). Cette décision souligne ainsi l’intérêt pour les maisons de vente d’intégrer dans leurs mandats de vente une clause d’indemnité de rupture, équilibrée, contribuant à dissuader les vendeurs d’une révocation tardive et à en réparer l’impact économique.
Le droit de rétention du commissaire-priseur sécurise son indemnisation
De jurisprudence constante, le commissaire-priseur est dépositaire de l’œuvre que lui confie le vendeur, dans le cadre du mandat de vente (Cour d’appel de Lyon, 29 mars 2016, n°14/05137 ; Tribunal judiciaire de Paris, 3 avril 2018, n°16/18545). En principe, si le mandat est révoqué, le commissaire-priseur doit restituer l’œuvre. Mais le droit commun prévoit notamment la possibilité pour le dépositaire de « retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt » (art. 1948 du Code civil). En outre, peut « se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :(…) 3° celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose » (art. 2286 du Code civil). Cette faculté étant légale, elle peut être exercée même si le mandat de vente ne prévoit pas la rétention de l’œuvre en cas de révocation.
Concrètement, pour pouvoir exercer un droit de rétention, le commissaire-priseur donc doit être titulaire d’une créance certaine et exigible à l’encontre du vendeur (déposant) et il doit exister un lien de connexité entre cette créance et l’œuvre retenue. En l’espèce, les frais – restauration, expertise, publicité – engagés par le commissaire-priseur à raison du dépôt, justifiaient le lien entre la créance et la rétention de l’œuvre. Ce droit permet à la maison de ventes de sécuriser efficacement le remboursement des frais engagés en cas de révocation du mandat avant son terme.
En définitive, la loi régit de nombreuses problématiques liées au mandat de vente aux enchères et au dépôt. Ce cadre légal sera utilement complété par des clauses précises, insérées dans le mandat de vente des opérateurs de vente. Sous réserve qu’elles ne soient pas déséquilibrées ou abusives, elles permettent d’anticiper efficacement une rupture du mandat avant la vente.
Article paru dans l’Objet d’art n°627 novembre 2025


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Charlotte Scetbon
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