Faut-il détruire une œuvre contrefaisante ? Les sanctions de la contrefaçon à l’épreuve du marché de l’art
Le marché de l’art doit être protégé contre la circulation d’œuvres contrefaisantes, notamment en assurant leur retrait définitif de la vente. La destruction de ces œuvres demeure la garantie qu’elles ne réapparaissent jamais sur le marché. Mais cette sanction n’est pas automatique. Des sanctions alternatives sont possibles. C’est ainsi le cas de l’apposition d’une mention indélébile et apparente sur l’œuvre, indiquant son défaut d’authenticité. Cette demi-mesure, récemment ordonnée, ne paraît toutefois pas optimale.
Les sanctions légales de la contrefaçon
La prolifération de faux intentionnels déstabilise le marché de l’art et expose les collectionneurs à des risques. Ces faux peuvent être sanctionnés au titre de la contrefaçon, définie comme la reproduction non autorisée d’une œuvre de l’esprit, en violation des droits d’auteur (article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle)
L’article L.335-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit un ensemble de sanctions afin de lutter contre le délit de contrefaçon. Le juge dispose d’une latitude pour choisir, en fonction des faits, entre :
- le retrait des objets contrefaisants des circuits commerciaux, aux frais du contrefacteur ;
- la confiscation des recettes procurées par l’infraction, des produits contrefaisants, voire du matériel permettant leur production ;
- la destruction ou remise à la partie lésée des produits contrefaisants ;
- des dommages et intérêts ;
- la publication de la décision de condamnation.
En matière d’arts plastiques, la destruction paraît la mesure la plus efficace à écarter une œuvre contrefaisante du marché, bien qu’elle soit très radicale. Les juges se sont parfois contentés de mesures moins sévères, qui sont critiquables.
La destruction de l’œuvre contrefaisante, sanction naturelle du délit de contrefaçon
Une décision récente démontre que la confiscation et la destruction de l’œuvre contrefaisante restent les sanctions naturelles de la contrefaçon (TJ Paris, 4 février 2022, RG n°18/06368). L’Association pour la défense de l’œuvre de Joan Miró (l’ADOM) est saisie d’une demande d’authentification d’un dessin. L’ADOM considère le dessin contrefaisant et sa signature non authentique. Elle en avise le propriétaire et lui demande l’autorisation de procéder à la destruction de l’œuvre. Il refuse, sollicite la restitution du dessin et propose à l’association de s’engager à ne pas en disposer, et à ne le conserver que pour un usage strictement privé. L’ADOM refuse.
Les ayants droits de Joan Miró font par conséquent saisir le dessin et assignent son propriétaire. Ils soutiennent que le dessin est une contrefaçon, ainsi qu’une fraude artistique, c’est-à-dire que la signature apposée sur le dessin est apocryphe.
Une expertise judiciaire démontre que le dessin n’est pas authentique mais seulement inspiré d’un ouvrage de Miró. Il en ressort également que la signature et la date manuscrite portées sur le dessin sont des imitations. Les juges de première instance retiennent par conséquent que le dessin litigieux « constitue donc une contrefaçon […] mais également un faux artistique ».
L’ADOM sollicite la destruction du tableau Au contraire, le propriétaire en demande la restitution sans toutefois contester le défaut d’authenticité. Il fait à cet égard valoir son droit à la propriété du support de l’œuvre. Il indique aussi être attaché au tableau pour l’avoir reçu de son père, précise ne pas vouloir le commercialiser et propose d’en faire effacer la signature apocryphe.
Malgré ces éléments, les juges retiennent que « dans la mesure où ce dessin, même en l’absence de signature, constitue une contrefaçon de l’œuvre de [Joan Miró], aucune autre mesure que sa destruction, y compris l’apposition d’une mention « reproduction » au dos du dessin, laquelle pourrait tout aussi bien que la signature être effacée et ne correspondrait, du reste, pas à la réalité dès lors que le dessin litigieux est seulement « fortement inspiré » de l’œuvre de l’artiste, ne sera à même d’éviter sa remise en circulation et sa présentation à des acquéreurs de bonne foi ».
Cette sanction est sévère et définitive. Elle a pour avantage de garantir le retrait définitif des œuvres contrefaisantes. Elle est conforme à la position des juridictions pénales, qui sont très sévères en la matière (Cass. Crim., 3 novembre 2021, RG n°21-81.356, concernant des dessins contrefaisants de l’œuvre de Modigliani). Elle est très frustrante pour les propriétaires de l’œuvre, qui ne sont pas forcément à l’origine de la contrefaçon et peuvent vouloir la conserver.
L’apposition de la mention « reproduction » au dos de l’œuvre contrefaisante, une alternative insatisfaisante
C’est ainsi que, dans des circonstances factuelles similaires, une jurisprudence a admis qu’une œuvre contrefaisante ne soit pas détruite, à condition qu’elle soit définitivement identifiable comme une « reproduction » (Cass. Civ. 1ère, 24 novembre 2021, n°19-19.942).
En l’occurrence, le Comité Chagall est saisi en 2012 d’une demande de certification d’un tableau intitulé « Femme nue à l’éventail » portant la signature de Marc Chagall. La toile litigieuse est présentée comme la variante d’une autre œuvre du peintre, conservée au Centre Pompidou.
Considérant le tableau contrefaisant, le Comité fait procéder à sa saisie, assigne son propriétaire et sollicite une expertise judiciaire. L’expertise confirme l’inauthenticité. Elle fait également apparaître que le tableau reprend les éléments essentiels de la toile d’origine, dont elle agrandit simplement le format. L’expert conclut que l’œuvre litigieuse est un « double » de piètre qualité de l’œuvre originale.
Le Comité Chagall demande dès lors que l’œuvre contrefaisante lui soit remise afin d’être détruite. Si les premiers juges font droit à cette demande, la Cour d’appel puis la Cour de cassation retiennent une mesure alternative. Les magistrats ordonnent en effet l’apposition de la mention « reproduction » au dos de l’œuvre contrefaisante, « de manière visible à l’œil nu et indélébile ». Ils précisent que la mention « suffisait à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux ». La solution est doublement discutable.
En premier lieu, la mesure paraît trouver un équilibre entre d’une part, l’impératif de lutte contre la contrefaçon, la mention devant permettent l’éviction de l’œuvre du marché ; et d’autre part, les droits du propriétaire du support matériel de l’œuvre. Elle semble s’expliquer, au moins en partie, par les circonstances de la cause : il semblerait que le propriétaire de l’œuvre n’ait pas eu l’intention de la vendre.
Dans cette espèce, le juge a tenu compte du fait que le risque de réapparition de la toile litigieuse sur le marché apparaissait moindre. Mais si le possesseur actuel est de bonne foi, qu’en sera-t-il de ses successeurs ? Ne pas ordonner la destruction paraît repousser le problème et privilégier un intérêt individuel temporaire du propriétaire, sur un intérêt collectif du marché de l’art à faire disparaitre – définitivement – les contrefaçons.
En second lieu, l’apposition de la mention « reproduction » au verso d’une œuvre contrefaisante parait impropre à garantir son retrait définitif du marché. En effet, quand bien même la mention serait indélébile, elle n’en peut pas moins être grattée, camouflée, dissimulée ou recouverte par un artifice quelconque. L’efficacité pratique de la mesure paraît illusoire, surtout sur le long terme.
Enfin, le terme « reproduction » est impropre à désigner l’œuvre contrefaisante et maladroitement choisi. Une prérogative de l’auteur est précisément le « droit de reproduction ». Qualifier l’œuvre de reproduction laisse entendre que cette copie a été autorisée par l’auteur et qu’elle peut donc être commercialisée. Il aurait été souhaitable que les juges trouvent un terme plus adéquat, tel que « contrefaçon ».
Mais, à vrai dire, cette mesure ne garantit pas la sécurité. Seule la destruction totale d’une œuvre contrefaisante constitue, pour le moment, une solution satisfaisante pour le marché de l’art et les collectionneurs.
Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°607 en janvier 2024
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