En droit des marques, on ne met pas d’eau dans son vin
Deux marques (identiques ou similaires) peuvent coexister si elles désignent des produits ou services différents. Toute la question est de déterminer si les produits sont similaires ou non. Sur le marché hautement concurrentiel des boissons, les tribunaux se divisaient sur la similitude de l’eau et des boissons alcoolisées ! Deux décisions récentes du Tribunal de l’Union européenne apportent des éléments de réponse bienvenus.
La protection des marques désignant des boissons
Les marques désignant des boissons alcoolisées ou non, représentent un chiffre d’affaires considérable. Entre les eaux, les jus de fruits et sodas, les bières, alcools forts et vins, c’est un marché présent en Europe et à l’international, dans lequel une concurrence importante se partage plusieurs milliards d’euros. L’enjeu pour une stratégie de protection de marques désignant des boissons se révèle donc essentiel.
Le 22 septembre 2021, le tribunal de l’Union Européenne (UE), a tranché un point de divergence entre différents tribunaux et offices de propriété intellectuelle. Une opposition avait été formée contre l’enregistrement de la marque CHIC par le titulaire d’une marque antérieure CHIC BARCELONA. La première protégeait les boissons sans alcool en classe 32 tandis que la seconde couvrait différentes boissons alcoolisées en classe 33. On sait que l’appartenance à une classe n’est en rien déterminante pour apprécier la similarité. Le tribunal de l’UE décide qu’il n’y a pas de similitude entre boissons alcoolisées et boissons sans alcool.
La similitude des boissons en droit des marques
Selon la jurisprudence, la similitude entre les produits et les services s’apprécie en tenant compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre eux. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. D’autres facteurs peuvent être pris en compte, tels que les canaux de distribution des produits concernés. C’est exactement ce qu’applique le tribunal de l’UE dans deux récentes décisions.
Dans une première affaire, il avait reconnu le 28 avril 2021, la similarité entre différentes boissons alcoolisées (les liqueurs d’une part, les bières, whiskys et autres d’autre part). Les motifs invoqués dans cette autre décision étaient alors notamment :
- un mode de production identique (distillation),
- des canaux de distribution semblables (même s’ils n’étaient pas strictement identiques),
- la satisfaction des mêmes besoins,
- un caractère substituable et concurrent entre les produits,
- un niveau de prix similaire.
Avec cette nouvelle décision du 22 septembre 2021, le tribunal de l’UE s’intéresse à la similarité de produits entre boissons sans alcool et avec alcool. Il considère :
- la nature des produits est différente,
- pour une partie du public, la consommation d’alcool est susceptible de poser un problème de santé à la différence des boissons non alcoolisées ;
- la finalité des produits est différente, ainsi que leur utilisation : épancher la soif pour les boissons non alcoolisées alors que l’alcool ne comble pas un besoin vital ;
- les produits ne sont ni concurrents, ni interchangeables ;
- les prix et canaux de distribution sont différents.
Par conséquent, il n’y a pas de similarité entre des boissons sans alcool et des boissons alcoolisées. Ces deux récentes décisions devraient apporter un peu plus de sécurité juridique aux titulaires de marques et leur permettre d’établir une stratégie de défense de marques en adéquation avec la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00
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