Cession à titre gratuit des droits de propriété intellectuelle

La cession à titre gratuit d’une marque est relativement fréquente. Une récente décision du tribunal judiciaire de Paris a étonné les praticiens et pourrait avoir une portée pratique importante, si elle est confirmée en appel. En effet, le tribunal assimile la cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle à une donation entre vifs, devant être passée devant notaires, à peine de nullité.

cession à titre gratuit

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La cession à titre gratuit d’une marque

En l’espèce, deux particuliers déposent conjointement une marque de l’Union européenne en 2014, ainsi que des dessins et modèles communautaires peu de temps après. Les produits visés, des capteurs électroniques insérés dans des colliers de chiens de chasse, sont exploités par deux sociétés créées par l’un des titulaires.

Tous les droits de propriété intellectuelle sont cédés gratuitement à l’une de ces sociétés en 2015 par le copropriétaire, par ailleurs dirigeant de la société. Son co-indivisaire dénonce alors cette cession et agit en nullité du contrat de cession, ainsi qu’en contrefaçon de marques et contrefaçon de dessins et modèles.

Le tribunal judiciaire de Paris, dans sa décision du 8 février 2022, retient que la cession des droits de propriété intellectuelle à titre gratuit est nulle, faute d’avoir été établie devant notaire !

Le tribunal analyse cette cession à titre gratuit, dépourvue de toute contrepartie, en une donation entre vifs. Selon l’article 931 du Code civil, toute donation entre vifs doit être passée devant notaires dans la forme ordinaire des contrats, sous peine de nullité.

Le tribunal rejette également la théorie de la donation déguisée, déjà reconnue par la jurisprudence. Les conditions de fond doivent être celles de la donation, à savoir le consentement du donataire, la capacité des parties, et l’irrévocabilité de la donation. Les conditions de forme doivent être celles de l’acte auquel l’apparence est empruntée. L’acte ne fait pas apparaitre la gratuité de l’opération, la fraude grossière étant sanctionnée.

Les juges vont s’arrêter sur la question de l’apparente gratuité. Ils relèvent ici que l’acte de cession est prévu expressément « à titre gratuit », et que dès lors aucune apparence de cession ou de vente ne peut être empruntée pour déguiser la donation. L’acte est requalifié en donation, et annulé pour non-respect des formalités prescrites.

Le Code de la propriété intellectuelle ne dérogerait pas à cette condition de forme des donations, en prévoyant que le transfert de propriété des marques doit être constaté par écrit.

Cette donation portant sur des droits incorporels devait donc être constatée par un notaire. La cession de marques à titre gratuit par acte sous seing privé est nulle.

La portée de cette décision en pratique pour les cessions à titre gratuit

S’agit-il d’un cas d’espèce ou d’un véritable changement ? Le tribunal note que le contrat de cession des droits de propriété intellectuelle a manifestement été antidaté ! En effet, un certificat de l’EUIPO postérieur de plus d’un an était joint à l’acte de cession. A cela s’ajoute l’absence de consentement du co-indivisaire des droits…

S’il y a appel, la décision sera particulièrement intéressante pour renforcer la sécurité juridique des cessions de marques à titre gratuit. Et au-delà des cessions gratuites, on peut s’interroger sur la nécessité d’établir un acte authentique pour les cessions symboliques ou pour les cessions qui prévoient le simple remboursement des taxes de dépôt.

 

Stephane Bellec Avocat marque

Stephane BELLEC
avocat droit des marques

 

Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec

Avocat Propriété Intellectuelle

sbellec@debaecque-avocats.com

Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00

 

 

 

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