Marque et vignoble : principe de spécialité pour le « premier cru »
SUJET : DROIT DES MARQUES
L’utilisation des mentions traditionnelles « premier cru » et « grand cru » en dehors du monde vinicole est-elle licite ? Cette exploitation par une célèbre marque cosmétique constitue-t-elle du parasitisme ? L’enregistrement de telles marques est-il valide ? Telles sont les questions posées à la cour d’appel de Paris le 29 mai 2018 dans l’affaire CAUDALIE, qui affirme le principe de spécialité pour les mentions traditionnelles viticoles.
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Le contexte
La société CAUDALIE a enregistré les marques PREMIER CRU et SOIN PREMIER GRAND CRU pour des produits cosmétiques. Les spa CAUDALIE proposent des crèmes revêtues desdites marques.
Plusieurs groupements de défense d’intérêts des grands vins comme le Conseil des Grand Crus Classés en 1855 ou le Conseil des vins de Saint-Emilion assignent CAUDALIE en nullité des marques, parasitisme, publicité trompeuse… Le tribunal de grande instance de Paris rejette toutes leurs demandes.
La cour d’appel de Paris confirme en premier lieu l’intérêt à agir de chaque groupement, y compris pour protéger les appellations contre une exploitation en dehors de la sphère viticole.
Elle rejette ensuite le motif de prescription invoqué par CAUDALIE en s’inscrivant dans la jurisprudence « Cheval Blanc » : le point de départ du délai quinquennal de prescription s’apprécie au jour de la première mise en demeure adressée à CAUDALIE.
Principe de spécialité et mention traditionnelle vinicole
L’utilisation des termes « grand cru » et « premier cru » est réglementée pour les produits viticoles en droit français et en droit européen, comme « mentions traditionnelles ». Ces textes ont pour but de lutter contre l’usurpation de termes prestigieux par des boissons de qualité moindre. Mais la reprise des mentions traditionnelles sur d’autres produits n’est pas prévue.
La cour d’appel affirme donc ici le principe de spécialité, propre au droit des marques et l’applique aux mentions traditionnelles. Ainsi la protection des termes « premier cru » et « grand cru » se limite au domaine viticole et leur utilisation est licite pour des produits cosmétiques.
Parasitisme
Les mentions traditionnelles, tout comme les appellations d’origine, peuvent être protégées contre une usurpation, en dehors de leur domaine de spécialité, par le droit commun de la responsabilité civile et donc par la notion de parasitisme.
Toutefois, dans cet arrêt, la cour d’appel rejette le parasitisme, faute d’avoir pu montrer que CAUDALIE cherchait à se placer dans le sillage des grands vins en profitant indûment de leur notoriété et de leurs investissements ou en cherchant à en retirer indûment un avantage concurrentiel.
Cette position ne fait pas l’unanimité : personne n’envisage que des premiers crus entrent dans la composition des crèmes cosmétiques dont les ingrédients sont clairement indiqués. Le consommateur n’est donc pas trompé sur les produits vendus sous la marque PREMIER CRU. Pourtant, l’ajout de la mention « premier cru » positionne le produit haut de gamme alors que la seule communication axée sur la vigne ne le permettait pas. C’est tout l’intérêt du parasitisme que de permettre de défendre un signe en dehors de sa spécialité, ce qu’ici la Cour écarte.
Validité de la marque PREMIER CRU
La cour d’appel confirme la validité de la marque PREMIER CRU pour des produits cosmétiques. Elle lui reconnaît un caractère distinctif au sens de l’article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle : les mots sont arbitraires et ne décrivent pas les produits de beauté.
Elle rejette également tout caractère déceptif dans la mesure où le public ne peut croire que les cosmétiques comportent des vins de grands crus.
Les défenseurs des appellations d’origine et des mentions traditionnelles doivent poursuivre leurs actions contre la banalisation, et notamment contre des utilisations par des sociétés n’ayant pas la notoriété et le prestige de CAUDALIE.
Le droit des marques de vin se densifie : la défense des marques de vignobles et des appellations d’origine s’avère encore plus complexe avec cette décision de la cour d’appel de Paris. Une surveillance accrue des marques déposées, y compris pour des produits non similaires aux alcools est nécessaire.
Pour contacter Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec
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