Forclusion par tolérance d’une marque : quelles conditions de recevabilité ?
Deux décisions récentes illustrent la nécessité de réagir rapidement en cas d’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. La forclusion par tolérance d’une atteinte à une marque éteint toute action. La Cour de cassation et la cour d’appel de Paris précisent le point de départ du délai et les modalités de la tolérance d’une marque seconde.
Le délai de la forclusion par tolérance
C’est une guerre de biscuits qui donne l’occasion à la Cour de cassation de revenir sur le point de départ du délai de forclusion.
La société LES GALETTES DE BELLE ISLE est titulaire de la marque éponyme depuis 1995. Elle assigne en contrefaçon une société concurrente, titulaire de plusieurs marques déposées dans les années 2000, notamment PETITS SABLÉS DE BELLE-ILE et LE PETIT BELLILOIS.
La cour d’appel de Rennes prononce la déchéance de la marque LES GALETTES DE BELLE ISLE et déclare l’action en contrefaçon irrecevable. La demanderesse porte l’affaire devant la Cour de cassation.
La Cour de cassation, dans sa décision du 7 septembre 2022, confirme l’irrecevabilité de l’action en contrefaçon. En effet, la tolérance pendant plus de 5 ans de la marque justifie ce rejet de l’action.
C’est l’occasion de rappeler les conditions de recevabilité de la forclusion par tolérance, en particulier la date et les moyens d’appréciation des juges.
Le délai de forclusion par tolérance court à compter de la connaissance directe de la marque seconde. Les tribunaux apprécient les faits de chaque espèce pour évaluer la connaissance de la marque seconde, condition sine qua non de la forclusion par tolérance.
La Cour de cassation confirme que cette connaissance directe passe par l’établissement de la surveillance de l’activité d’un concurrent.
En l’espèce, les deux sociétés rivales avaient multiplié courriers, mises en demeure, actions en concurrence déloyale. Les juges en déduisent qu’une surveillance accrue des activités de la partie adverse était évidente et laissait présupposer la connaissance des marques déposées ou exploitées depuis lors.
La forclusion suppose la connaissance et non un usage sérieux
Dans un autre dossier, la cour d’appel de Paris (13 avril 2022) précise qu’aucun degré d’exploitation n’est nécessaire. Seule la connaissance de la marque seconde suffit, peu importe le volume d’exploitation.
Sur le marché de niche des box de produits alimentaires sur abonnement, il est difficile d’ignorer un concurrent. En 2020, la société GOURMIBOX, titulaire de la marque éponyme depuis 2012, attaque en contrefaçon le titulaire de la marque GOURMET BOX déposée en 2014.
Une mise en demeure en mars 2015 constituait le point de départ du délai de forclusion selon la demanderesse. Toutefois, les juges estiment que la connaissance de la marque seconde est nécessairement antérieure à la mise en demeure.
En effet, la marque seconde a bénéficié d’une campagne sur les réseaux sociaux et les sites référençant toutes les box dès décembre 2014. Évoluant sur un secteur de niche et étant des concurrents directs, la demanderesse ne pouvait ignorer ce lancement.
Cette décision sévère incite les entreprises à ne pas attendre le dernier moment pour intenter une action en contrefaçon.
En outre, l’article L 716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle n’impose pas la preuve d’un usage sérieux de la marque seconde. Peu importe que l’exploitation des box ait été relativement faible du lancement à la fin du premier trimestre 2015. Une exploitation connue et tolérée sur le marché concerné pendant plus de 5 ans suffit.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
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Stephane BELLEC
avocat droit des marques