Forclusion par tolérance en droit des marques
En théorie le titulaire d’une marque peut interdire l’usage d’un signe distinctif pouvant causer un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent. Cette possibilité est offerte à la condition qu’il adopte un comportement actif dans la défense de son droit. Les textes français et européens organisent ainsi la forclusion par tolérance en droit des marques. En pratique, l’appréciation d’une défense active ou non n’est pas si simple. Illustration avec cette décision de la CJUE du 19 mai 2022 (HEITEC).
La forclusion par tolérance
La directive 2008/95 article 9 prévoit la forclusion du droit d’agir du titulaire qui aurait toléré pendant une période de cinq années l’usage d’un signe distinctif par un tiers portant atteinte à ces intérêts. Ce mécanisme est repris à l’article L. 716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Toutefois les juges sont régulièrement confrontés à des questions d’ordre pratique afin de mettre en place cette sanction :
- Qu’est-ce qu’un comportement passif ?
- Comment le titulaire peut-il interrompre le délai de forclusion ?
- Quelles sont les mesures qui sont forcloses ?
La CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) a répondu à ces questions par un arrêt HEITEC AG c/ HEITECH Promotion GmbH du 19 mai 2022 (affaire C-466/20). Bien que cette décision sont rendue sur question préjudicielle dans le cadre d’un litige relevant du droit allemand, son application au cadre juridique français ne fait pas de doute.
Une simple mise en demeure n’interrompt pas la forclusion par tolérance
Tout d’abord sur la question des mesures suffisantes afin d’interrompre le délai de forclusion, deux éléments en l’espèce sont soulevés par les demandeurs.
Pendant l’écoulement de la période de cinq années, le titulaire de la première marque a envoyé une mise en demeure de cesser l’exploitation au titulaire de la seconde marque. La mise en demeure seule peut-elle manifester de manière non équivoque la volonté du titulaire de faire interdire l’usage du signe contesté ?
La CJUE refuse de consacrer une telle solution, qui reviendrait à permettre de contourner la forclusion par tolérance en envoyant simplement une mise en demeure tous les cinq ans afin de fragiliser des droits qui auraient vocation à être stabilisés dans le temps. Pour que la mise en demeure puisse faire effet sur le délai de forclusion, elle doit être suivie d’une introduction d’instance.
Cette position a déjà été celle de la Cour de cassation dans un arrêt Grateloup c/ GFA Château de Pressac du 8 mars 2005, n° 03-12.193. Dans cet arrêt la Cour a énoncé « qu’en statuant ainsi, alors que le délai de forclusion par tolérance ne peut être interrompu que par une citation en justice, un commandement ou une saisie régulièrement signifiés, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Sur ce point de vue, l’arrêt de la CJUE en l’espèce s’inscrit dans la même lignée et fait peser sur le titulaire de droit sur la marque l’exigence de manifester sans équivoque son intention de faire cesser l’usage.
L’introduction d’une action en justice marque la volonté de se défendre
En l’espèce, l’action introduite pendant le délai de cinq ans n’a été signifié à la partie adverse qu’après l’écoulement dudit délai du fait de la négligence du demandeur. La CJUE a donc dû se prononcer sur la valeur juridique d’un tel acte vis-à-vis de l’écoulement du délai de cinq ans.
Dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile, la date retenue pour l’introduction de l’instance peut-être celle du dépôt de l’assignation, à condition que la partie requérante n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’elle était tenue de prendre pour que cet acte soit notifié ou signifié à la partie défenderesse (CJUE, 6 octobre 2015, C-489/14 notamment).
Bien que non applicable en l’espèce, ce raisonnement est repris par la CJUE en l’espèce afin de fonder sa solution. Ainsi, « ce n’est que par la régularisation de cet acte, selon les exigences du droit national applicable, qu’il y a lieu de considérer que la partie requérante a manifesté de manière non équivoque l’intention claire et sérieuse de faire valoir ses droits et que, par conséquent, le recours peut être réputé effectivement introduit » (Cons. 64 arrêt HEITEC).
L’introduction non signifié à la partie adverse ne peut donc pas avoir pour effet d’interrompre le délai de forclusion de cinq ans.
Cet arrêt met en exergue la sévérité du droit à l’encontre des titulaires de droit sur des signes distinctifs qui resteraient passifs et ne prendraient pas les mesures nécessaires à la pérennité de leur droit.
Dès lors il est primordial de s’entourer d’un conseil compétent en propriété industrielle afin de surveiller les marques qui pourraient empiéter sur votre monopole et prendre les mesures adéquates le plus tôt possible.
Stéphane Bellec, avocat associé du Cabinet De Baecque Bellec
Avocat Propriété Intellectuelle
Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00
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