Les justes motifs de non-usage d’une marque

Le titulaire d’une marque est soumis à une obligation d’usage de cette dernière dans les cinq ans suivant son enregistrement, délai à compter duquel il encourt la déchéance de ses droits (art. L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle). La cour d’appel de Lyon s’est récemment prononcée sur les justes motifs susceptibles de justifier le non-usage d’une marque (CA Lyon, 6e ch., 9 février 2023, n°22/03105).

Elle rappelle les principales conditions cumulatives nécessaires pour établir l’existence d’un juste motif :

  • il doit être indépendant de la volonté du titulaire de la marque,
  • et présenter un lien direct avec la marque au point de rendre l’usage de celle-ci, si ce n’est impossible, tout du moins déraisonnable.

Puis la cour retient, en l’espèce, que les problèmes de santé du dirigeant de la société licenciée ne suffisent pas à établir qu’elle n’était pas en mesure d’exploiter la marque pendant la période considérée.

Cette décision s’inscrit dans le courant de la jurisprudence française et communautaire sur l’usage sérieux d’une marque.

Des conditions cumulatives à l’existence de justes motifs de non-usage

Mme U. est titulaire de la marque « REFLEA » depuis le 13 mars 2014. Elle a concédé sa marque en licence à la société Lozen Edifice le 10 mars 2017. Mme U. était soumise à une obligation d’usage de sa marque entre le 16 juin 2015, date de son enregistrement, et le 16 juin 2020.

Le 16 juin 2020, elle a assigné la société CPE pour contrefaçon considérant que cette dernière exploitait la marque « REFLEA » sans autorisation de sa part. Dans ses écritures, Mme U. justifiait le non-usage de sa marque en raison de l’existence d’un juste motif, argument alors contesté par la société CPE.

La cour d’appel a donc dans un premier temps dû rappeler les conditions cumulatives nécessaires pour établir l’existence d’un juste motif au non-usage d’une marque.

Ces conditions cumulatives permettant de légitimer le non-usage d’une marque pendant cinq ans, en raison notamment d’un obstacle qui aurait empêché l’exploitation d’une marque, ont été posées au fur et à mesure par la jurisprudence :

  • l’obstacle doit présenter une relation directe avec la marque ;

  • l’obstacle doit être indépendant de la volonté du titulaire de la marque ;

  • il doit rendre l’usage de cette marque impossible ou déraisonnable.

A titre d’exemple, la cour d’appel de Paris a pu préciser qu’une action en concurrence déloyale portant sur l’atteinte à une enseigne et au nom commercial n’a pas de relation assez directe avec l’usage d’une marque et ne peut justifier son absence d’usage (CA Paris, 2e ch., 17 mai 2019, n°18/06796).

Mais le tribunal puis la cour d’appel de Lyon devaient en particulier déterminer si les problèmes de santé du dirigeant d’une société licenciée étaient susceptibles de constituer un juste motif.

La simple concession de licence ne justifie pas d’un usage sérieux (malgré des problèmes de santé)

Mme U. ne contestait pas le non-usage de sa marque REFLEA dans les cinq ans précédant son action en contrefaçon mais justifiait selon elle de l’existence d’un juste motif.

Elle produisait ainsi une attestation de paiement d’indemnités journalières au dirigeant de la société licenciée établie par la CPAM et différents documents médicaux concernant ce dernier, y compris un arrêt de travail de trois ans en raison d’une affection longue durée.

Or, la cour relevait que Mme U. ne justifiait par aucune pièce des motifs pour lesquels la société licenciée n’avait pas exploité la marque REFLEA et observait par ailleurs qu’elle avait la possibilité de résilier le contrat de licence.

Une décision de la cour d’appel de Versailles, concernant des faits similaires, jugeait également que de simples concessions de licences, non suivies d’une exploitation effective, ne constituaient pas en elles-mêmes un usage sérieux de la marque. Le propriétaire de la marque invoquait des problèmes de santé sur le fondement de différents documents médicaux que la cour a écartés. Elle considérait qu’ils ne permettaient pas d’établir que le propriétaire de la marque se serait trouvé dans un état de santé dont la gravité l’aurait empêché d’exploiter, ou de faire exploiter, la marque dans les cinq années de son enregistrement (CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 26 novembre 2009, n°08/04527).

La cour d’appel de Lyon a finalement conclu que les conditions cumulatives à l’existence d’un juste-motif n’étaient pas satisfaites : « Mme U. ne démontrait pas que le non-usage de la marque REFLEA était indépendant de sa volonté ni que les problèmes de santé {du dirigeant de la société licenciée} présentait un lien suffisamment direct avec la marque REFLEA au point de rendre l’usage de cette marque déraisonnable ».

Cette jurisprudence pour le moins classique sur les justes motifs n’est pas sans rappeler, sur le thème de la santé, une décision de la cour d’appel de Paris du 15 avril 2022 (CA Paris, 2e ch., 15 avril 2022, n°21/09777). Elle énonçait que la pandémie de Covid-19 apparue à compter du premier trimestre 2020 ne saurait constituer un obstacle rendant impossible ou déraisonnable l’usage d’une marque et caractérisant un juste motif de non-usage.

diane remy mondange avocat PI
Diane Remy Mondange,
Avocate collaboratrice
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