Métavers et droit des marques : quand le virtuel rencontre le réel

Depuis l’avènement des mondes virtuels et du métavers, les dépôts de marque se multiplient dans le monde. Les Offices de propriété intellectuelle définissent peu à peu les conditions de protection pour parvenir à l’enregistrement. Quand la réalité du droit des marques se fond dans le métavers.

métavers et droit des marques

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Métavers et droit des marques : des débuts confus

Une marque est « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales » (article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle). Le libellé d’une marque sert à délimiter le monopole d’exploitation conféré par ce titre de propriété industrielle. Une marque est ainsi protégée uniquement pour les produits et/ou services désignés dans le libellé, tel que présenté dans la Classification de Nice.

Depuis l’annonce d’un nouvel environnement baptisé Horizon Worlds par Facebook/Meta en octobre 2021, on observe une augmentation des dépôts de marques destinés à protéger des signes distinctifs dans le métavers et les Non Fongible Token (NFT). L’Office Européen pour la Propriété Intellectuelle (EuiPo) dénombre en 2022, 1157 dépôts contenant le terme NFT et 205 dépôts contenant le terme Métavers.

Face à cet intérêt croissant pour ces univers virtuels, les offices de propriété intellectuelle communiquent et précisent peu à peu leurs exigences en matière de dépôt de marques et notamment les produits et services à désigner dans les libellés.

Les métavers reposent principalement sur un système de blockchain, une « technologie de stockage et de transmission d’informations » permettant à ses utilisateurs de partager des données sans intermédiaire et sans organe central de contrôle » (définition de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, la CNIL). Ce système permet ainsi de procéder à des transactions au moyen d’une monnaie numérique, la crypto-monnaie. Les utilisateurs peuvent notamment acheter des produits et services, assister à une exposition, acquérir des biens immobiliers mais également des NFT ou jetons non fongibles, définis comme des « certificats cryptographiques associés à un objet numérique (image, vidéo, musique…) dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties par la blockchain » (Le Robert).

Ces univers ont donc leur propre économie et peuvent présenter pour les propriétaires de marques une source de profits. Grâce aux NFT traçables associés à chaque produit vendu, ces propriétaires peuvent notamment tirer des revenus de la revente de leurs produits virtuels aux moyens de contrats de licence.

Il est donc intéressant de pouvoir valoriser sa marque et se protéger des éventuelles contrefaçons dans le métavers. Pour cela, il peut être opportun de protéger ses signes distinctifs par un dépôt spécifique permettant d’acquérir un véritable titre de propriété industrielle.

La question du type de dépôt à effectuer se pose néanmoins.

Comment protéger une marque dans un métavers ?

En juin 2022, un comité d’experts de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle a rendu un rapport précisant les produits et services à désigner pour des dépôts pour le métavers et les NFT. La 12e classification de Nice attendue pour l’année 2023 permettra de confirmer et/ou de préciser ces travaux.

Tout d’abord, les propositions d’introduire des références au métavers dans la classification de Nice ont été exclues en raison notamment de l’existence de marques déposées « METAVERS » dans plusieurs pays. Une marque ne peut en effet être mentionnée dans la liste des produits et services revendiqués, seul le type de produit ou service auquel elle correspond pouvant l’être (article 4, 4° de la Décision 2019-157 du Directeur général de l’INPI). Ainsi, les termes « vente au détail d’iPhone » ne peuvent être utilisés dans un libellé et doivent être remplacés par « vente au détail de téléphones mobiles ».

L’INPI rappelle ensuite que les termes ou expressions en langue étrangère qui ont un équivalent en langue française sont exclus des libellés. Ainsi, le terme « blockchain » anglais doit être remplacé par l’expression française « chaînes de blocs ».

Les biens virtuels sont quant eux traités en tant que contenus ou images numériques et doivent donc être rattachés à la classe 9. Pour les NFT, le comité d’experts pour la classification de Nice recommande d’utiliser le libellé « fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles ».

L’INPI applique cependant strictement le principe légal de précision et de clarté selon lequel « Les produits et les services sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection » (article R713-3-1 al.1 et 2 du Code de la propriété́ intellectuelle).

Ainsi, les simples termes « produits virtuels », « biens virtuels », « jetons non fongibles », « objets de collection », « actifs numériques » que ces termes soient précisés avec ou sans la mention « téléchargeables ou non téléchargeables » sont jugés imprécis. Afin de pouvoir être accepté, le type de biens virtuels doit être spécifié, par exemple « biens virtuels téléchargeables, à savoir les vêtements virtuels » ou « produits virtuels téléchargeables à savoir programmes informatiques ».

Les libellés admissibles

Les services relatifs aux biens virtuels et aux NFT doivent quant à eux être classés conformément aux principes établis de la classification des services. Les principales classes de services concernées sont les classes 35, 36, 38, 41 et 42.

La classe 35 comprend essentiellement les services de gestion, exploitation, organisation et administration commerciale d’une entreprise commerciale ou industrielle ainsi que les services de publicité, marketing et promotion.

Le « service de vente au détail en ligne » ou celui de « mise à disposition d’espaces de vente en ligne » doit préciser avec suffisamment de clarté les produits vendus en référence aux remarques ci-dessus pour les produits de la classe 9. Le simple libellé « vente de jetons non fongibles » n’est pas admis.

En classe 38 qui comprend les services de communication, de diffusion et de transmission de données, l’Office admet par exemple le libellé : « transfert électronique de fichiers numériques téléchargeables authentifiées par des jetons non fongibles (NFT) et incorporant des protocoles cryptographiques utilisés pour fonctionner sur une plateforme informatique dans le domaine de la technologie de la chaîne de blocs ».

La classe 41 comprend les services d’éducation, de formation, de divertissement, d’amusement ou de récréation ainsi que les services de présentation au public d’œuvres d’art plastique ou de littérature à buts culturels ou éducatifs. Pour les univers virtuels, cette classe peut par exemple être désignée avec les libellés : « services de divertissement, à savoir mise à disposition de jeux informatiques en ligne dans lesquels les joueurs peuvent gagner des biens virtuels, à savoir programmes informatiques comportant des parfums, des sacs, des chaussures, des jeux » ou encore « services de divertissement, à savoir mise à disposition de jeux informatiques en ligne destinés à être utilisés dans des environnements virtuels ».

La classe 42 comprend les services rendus par des personnes en rapport avec les aspects théoriques ou pratiques de domaines complexes d’activités tels que les services de laboratoires scientifiques, l’ingénierie, la programmation informatique ou encore les services d’architecture. Comme pour la classe 35, il est préconisé de préciser le type de produits virtuels désignés pour les services de « conception et de production ». Sont par exemple admis, les services de « Recherche et développement de nouveaux produits virtuels pour des tiers » ou « Recherche et développement de nouveaux fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] ».

S’agissant de la classe 36 qui comprend essentiellement les services bancaires et autres transactions financières ainsi que les activités en matière d’assurances et d’immobilier, sa désignation pourrait être problématique dans la mesure où les jetons numériques fongibles ou non fongibles ne sont pas légalement considérés comme de la monnaie ou des devises. De plus, les formulations « mise à disposition » et « émission » de jetons numériques sont ambigües en ce qu’elles ne permettent pas de savoir s’il s’agit d’un service de création (correspondant à de la programmation informatique) ou un service de proposition (correspondant à de la vente).

Les produits et services à désigner lors d’un dépôt de marques pour protéger son activité dans le métavers sont donc précis et nécessitent une vigilance accrue de la part des déposants.

Ce tour d’horizon des libellés admissibles peut être un premier guide en attendant la prochaine classification de Nice et les éventuelles recommandations officielles des offices de propriété intellectuelle. L’union des métavers et du droit des marques fera encore couler beaucoup d’encre.

 

Marion Abergel Avocat

Marion Abergel, collaboratrice 

Avocat Propriété intellectuelle

 

 

 

 

 

 

 

 

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