Publication d’un rapport sur la sécurisation des acquisitions muséales

L’origine douteuse des achats de l’Agence France Muséums pour le Louvre Abu Dhabi a mis en lumière les risques encourus par les musées au cours de leurs processus d’acquisition. Un rapport propose de nombreuses mesures pour pallier ce risque de provenance.

sécurisation des acquisitions muséales

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La mission nommée par le ministre de la culture a rendu un rapport publié le 21 novembre 2022. Il passe au crible les procédures d’acquisition des musées, pour formuler quarante-deux propositions visant à favoriser la mise en place de bonnes pratiques. Qui trop embrasse mal étreint, ce catalogue de mesures paraît parfois impraticable, coûteux et juridiquement difficile. En particulier quand il vise le marché de l’art et l’accès tous azimuts aux livres de police.

Il comporte deux axes : la sécurisation de la chaîne d’acquisition pour les musées et la mobilisation du marché de l’art pour sécuriser la provenance et accroître la confiance dans ce marché.

Sécuriser la chaine d’acquisition des biens culturels par les musées nationaux

Clarifier les diligences à mettre en œuvre dans le processus d’acquisition

La mission relève que la teneur des diligences à effectuer en matière de provenance n’est pas suffisamment claire ; l’exigence de licéité de la provenance pourtant indiscutable n’est pas expresse. Il est évidemment indispensable d’y pallier. Pour ce faire, la mission propose de mettre à jour, en concertation avec l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), le vade-mecum des acquisitions afin :

  • d’expliciter les diligences opérationnelles qui doivent accompagner une politique d’acquisition ;
  • de clarifier les caractéristiques des différentes bases de données disponibles et l’opportunité de les mobiliser ;
  • de préciser les cas pertinents de recours à l’expertise du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).

En outre, le dispositif de signalement des alertes internes relatives à des biens culturels concernés par la procédure d’acquisition est vraisemblablement peu connu des agents des musées nationaux. Il est ainsi encore recommandé par la mission de compléter le vade-mecum d’une section sur le traitement des alertes, pour :

  • réitérer l’importance de l’obligation déontologique pour les conservateurs saisis d’une alerte relative à une acquisition, d’informer leur responsable ;
  • renforcer la pédagogie sur la protection éventuelle du lanceur d’alerte ;
  • rappeler les sanctions en cas de non-traitement de l’alerte.

Renforcer les expertises en matière de provenance

La mission estime que les conservateurs et autres personnels en charge des acquisitions demeurent encore insuffisamment munis contre les risques inhérents à l’authenticité et à la provenance des biens. Selon elle, la formation initiale et continue en ces matières devrait être accrue, afin de donner les compétences essentielles aux personnes en charge des fonctions liées aux acquisitions. En particulier, la mission recommande une formation continue sur la provenance et la lutte contre le trafic illicite, sur cinq ans pour l’ensemble des personnels concernés.

S’ajoute à la formation, la mobilisation de la compétence et des connaissances en matière de recherche de provenance. A ce jour, la mission observe que la mise en relation des professionnels qualifiés est insuffisante et que les outils permettant l’accès aux connaissances nécessaires ne sont ni organisés ni partagés.

Aussi recommande-t-elle de doter la chaîne d’acquisition d’une « cellule provenance » au sein du Service des musées de France (SMF), qui aurait accès aux compétences existantes dans d’autres ministères (Intérieur, Finances, Affaires étrangères, etc.). Cette cellule serait chargée de :

  • coordonner l’offre de formation ;
  • mettre à jour le « vade-mecum des acquisitions » ;
  • proposer des outils partagés aux musées à l’échelle nationale et internationale ;
  • assurer un échange de connaissances entre les différents correspondants interministériels (Police, Justice, Affaires étrangères, Tracfin, Douanes)

Si un tel échange est certainement très utile, la confidentialité et le secret des affaires applicables à chacun de ces professionnels pourraient cependant être mis mal, ce qui doit naturellement être évité. Autre recommandation notable, l’obligation de solliciter une expertise externe pour les donations donnant lieu à des défiscalisations significatives (supérieures à 50 000 €) entérinerait une pratique judicieuse.

S’assurer de la qualité de l’instruction des chaînes de provenance

La mission estime que l’instruction des dossiers par les services compétents varie selon les œuvres et selon les musées. La plus-value des commissions d’acquisition internes serait limitée par une composition et un mode de fonctionnement peu favorables à une réelle analyse des choix d’acquisition.

D’après la mission, ces commissions évoqueraient rarement la question de la provenance. Elle suggère dès lors de revoir : (i) la composition des commissions d’acquisition internes, mais également celle du Conseil artistique des musées nationaux (sollicité uniquement lorsque le montant d’acquisition envisagé excède certains seuils), ainsi que (ii) les modalités d’instruction des dossiers, afin que soit respecté le principe fondamental de collégialité́ et favorisé un réel débat.

A cet égard, la mission recommande pour les acquisitions sensibles (notamment, certains biens archéologiques, les biens présumés de zones de pillage ou de conflits) la saisine d’une commission interministérielle ad hoc par le ministère de la culture, qui contribuerait, par ailleurs, à la réflexion sur la doctrine française concernant la procédure de délivrance des licences d’importation.

Enfin, la mission relève que les règlements intérieurs des commissions ne prévoient pas systématiquement la gestion des conflits d’intérêts et suggère, pour y pallier, l’ajout d’une obligation législative de dépôt de déclaration d’intérêts.

Ces mesures ambitieuses seront-elles compatibles avec les contraintes budgétaires du ministère ?

Penser le prix d’acquisition des biens culturels

Certains intervenants consultés par la mission estiment que les musées nationaux ne sont pas suffisamment attentifs aux prix d’acquisition. Ils considèrent que ces derniers pourraient dans le cadre de ventes aux enchères, être victimes d’ententes visant à faire monter le prix et, dans le cadre de vente de gré à gré, voir leur jugement sur le prix altéré par leur volonté de mener à bien l’acquisition, ce que le principe de collégialité a normalement pour but de pallier – mais on l’a vu, son application n’est pas systématique.

Aussi la mission formule-t-elle une proposition très particulière, selon elle, toute acquisition de gré à gré d’une œuvre adjugée en vente publique moins de cinq ans auparavant devrait être empêchée, sauf dérogation dûment motivée et à condition que son prix d’acquisition par le musée ne soit pas très éloigné du prix d’achat par le marchand…

Cette proposition, peu pragmatique, pourrait empêcher les musées d’acquérir des œuvres majeures, alors que l’achat d’une œuvre quelques mois après son adjudication peut être justifié à bien des égards, par exemple :

  • le musée acquéreur n’a pas vu l’œuvre passer en vente ;
  • le musée n’avait pas les moyens ou le temps de l’acquérir lorsqu’elle a été présentée à la vente ;
  • un marchand la propose au musée.

Il est aussi permis de penser qu’un marchand est légitime à revendre plus cher que ce qu’il a acheté ; après tout c’est le principe même du commerce. Il peut aussi être récompensé pour son travail de découvreur. Le risque de sur-paiement pourrait plutôt être limité par une vigilance parfaite du marché et une réactivité immédiate des musées, pour acheter rapidement les objets qui les intéressent lorsqu’ils passent aux enchères.

Mobiliser le marché de l’art pour sécuriser la provenance et accroître la confiance dans ce marché

Mobiliser l’ensemble des acteurs du marché de l’art

La mission estime que les obligations relatives à la provenance et à la chaîne d’acquisition d’un bien culturel sont très inégales selon les acteurs du marché de l’art. Elle propose un ensemble de mesures pour y remédier qui paraissent difficiles à mettre en place, voir incompatibles avec d’autres règlementations.

Ainsi, les commissaires-priseurs devraient être en mesure de documenter toute affirmation selon laquelle le bien est entré sur le territoire national avant la convention UNIDROIT de 1970. Mais cela renverserait la charge de la preuve.

Les experts sont particulièrement mis en cause par la mission, en ce qu’ils ne sont pas régulés (ou seulement indirectement dans le cadre de leur rôle dans les ventes volontaires). A minima, leurs obligations pourraient être renforcées dans le but unique de sécuriser les acquisitions réalisées par les musées.

La mission suggère ainsi de compléter le code du patrimoine par une disposition imposant une déclaration conjointe du commissaire-priseur et de l’expert sur l’absence d’informations en leur possession d’une provenance illicite et d’assortir cette obligation d’une sanction pénale en cas d’absence de déclaration.

Cependant, la mission estime que sa réflexion concerne aussi le cadre général d’exercice de la profession d’expert, et recommande l’introduction de procédures disciplinaires spécifiques et de dispositions légales interdisant la production d’une expertise frauduleuse destinée à faciliter ces opérations. Mais cela semble déjà couvert par les délits de faux et d’usage de faux.

En outre, les multiples facettes de l’expertise, se prêtent mal à une règlementation lourde et rigide qui ne parviendrait pas à prendre en compte la spécificité de ce métier (l’échec du statut d’expert agréé prévu par la première réforme des ventes aux enchères le démontre) …

Faciliter le contrôle pour les services répressifs et les musées acquéreurs, en particulier des livres de police

Selon la mission, les contrôles par les musées et les services chargés de la surveillance et de la répression sont limités. Elle recommande de donner aux musées de nouveaux outils pour effectuer les vérifications nécessaires, accorder un niveau plus élevé de priorité à la répression des trafics illicites de biens culturels et ajuster les moyens.

En particulier, elle préconise un accès élargi aux livres de police. Les marchands, antiquaires, galeristes et commissaires-priseurs ont des obligations en matière de provenance, centrées sur la traçabilité de leurs transactions, via leur livre de police, assorties de sanctions pénales. La police peut le contrôler à tout moment. Néanmoins, les renseignements devant y figurer n’incluent pas l’identité de l’acheteur. La mission propose naturellement d’y remédier. Elle suggère ensuite qu’à l’occasion des diligences qu’ils réalisent en vue d’une acquisition, les personnels de la « cellule provenance » devraient être autorisés à consulter le livre de police des commissaires-priseurs et des marchands ; seul le prix pourrait être masqué. Elle voudrait que le livre de police des commissaires-priseurs soit versé, sous forme numérique, aux archives territorialement compétentes pour permettre d’éventuelles investigations.

Les multiples propositions de la mission visant à rendre les livres de police accessibles aux autorités paraissent difficiles à mettre en œuvre et juridiquement discutables : donner un large accès à ces informations porterait atteinte au secret des affaires (un commissaire-priseur ou un marchand sont légitimes à ne pas divulguer leurs sources d’approvisionnement), au droit à la vie privée (une succession confierait-t-elle des biens à un commissaire-priseur si la teneur de son patrimoine pouvait être divulguée à des tiers ?) sans parler de la constitution d’un fichier de données personnelles. De telle mesures impliqueraient ainsi de modifier des législations qui dépassent le champ du marché de l’art. Ce qui parait ambitieux. Une mesure plus modeste et réaliste pourrait consister à faire appliquer les textes existants et à renforcer les contrôles des livres de police. Il suffirait d’y mettre les moyens.

D’autres propositions notables sont formulées par la mission – pour illustration : (i) prévoir que les transactions supérieures au million d’euros sur les biens culturels donnent systématiquement lieu à une information de Tracfin ; (ii) réduire au premier euro le seuil de déclaration Tracfin pour les pièces archéologiques – mais la mission ne semble pas suivre la finalité des déclarations opérées seulement en cas de suspicion d’opération frauduleuse ; (iii) prévoir que le délai de quinze jours de confirmation de la préemption peut être renouvelé une fois, aux fins d’effectuer les vérifications complémentaires nécessaires, par décision du ministère dûment motivée.

Sécuriser la circulation des biens culturels

La mission souligne que le sujet de la provenance des biens culturels est étroitement lié à celle des conditions de leur entrée sur et de leur sortie du territoire français. Selon elle, la procédure de délivrance des certificats devrait être modernisée et sécurisée contre des tentatives de détournement.

La future procédure d’octroi de licences d’importation devrait être, par ailleurs, mieux anticipée. La mission propose, en particulier, d’introduire des dispositions légales empêchant la présentation en vente aux enchères d’un bien, dès lors qu’une demande de certificat d’exportation aurait été déposée et que la réponse de l’administration ne serait pas encore connue ni communiquée aux acquéreurs potentiels, à peine de nullité de la vente. À défaut, le SMF devrait saisir systématiquement le CMV d’une plainte relative à l’atteinte aux intérêts des enchérisseurs et informer le public du risque que le certificat ne sera pas délivré. Là encore on comprend mal sur quel fondement il serait porté atteinte à la liberté du propriétaire de demander un certificat d’exportation ou non avant la mise en vente de son bien.

Il apparait ainsi que nombre des propositions formulées par la mission pourraient être non conformes à d’autres règlementations ou se heurteraient à des contraintes budgétaires. Le temps dira si ce rapport a un avenir.

Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°597 en février 2023

Cyrielle Gauvin avocat en propriété intellectuelle

Cyrielle GAUVIN, collaborateur
Avocat droit de l’art