L’atteinte à la renommée de la marque TOUR DE FRANCE enfin reconnue
La saga judiciaire du TOUR DE FRANCE a commencé il y a quelques années déjà. La marque tente en effet de combattre les marques de tiers composées de « tour de France + autre terme » devant les juridictions françaises et les offices de marques français et européen. Presque à chaque fois, la marque n’y parvenait pas. Mais la cour de cassation semble, enfin, ouvrir la voie vers une protection plus large des marques TOUR DE FRANCE, et reconnaître l’atteinte à leur renommée par la marque TOUR DE FRANCE A LA RAME en l’espèce. Cette décision ne s’inscrit donc pas dans la continuité des précédentes actions menées par la célèbre compétition sportive créée en 1903.

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Une marque renommée à la portée initialement limitée
Dès 2001, la cour d’appel de Paris accorde une portée limitée à la marque TOUR DE FRANCE. Elle considère en effet que la marque TOUR DE FRANCE A LA VOILE n’est pas contrefaisante, car elle « constitue un tout indivisible doté d’une signification distincte dans lequel l’expression « Tour de France » perd son pouvoir attractif propre » (CA Paris, 13 juin 2001, RG 1999/10759).
La célèbre marque sportive ne peut donc faire obstacle à l’utilisation de l’expression « tour de France » dans son acception usuelle. C’est considérer que malgré la notoriété mondiale de la compétition sportive, la marque reste descriptive ou à tout le moins qu’elle ne bénéficie que d’une protection très limitée.
Plusieurs décisions ont ensuite considéré que la marque TOUR DE FRANCE était renommée, mais uniquement pour le service d’organisation d’épreuves cyclistes. Ce qui cantonne encore une fois la protection au strict domaine du cyclisme. Dès lors, on voit mal l’intérêt de faire référence à la renommée.
C’est ce que jugeait la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 5 juillet 2023 (RG 21/11290), qui sera infirmé par la cour de cassation dans l’arrêt commenté. Elle retenait à nouveau que l’expression était utilisée pour dénommer de façon descriptive l’évènement sportif. Nous avions déjà commenté cette décision sur la portée limitée de la renommée de la marque.
Le Tribunal de l’Union Européenne confirmait également, dans son arrêt du 12 juin 2024, le rejet de l’opposition formée à l’encontre de la demande d’enregistrement de marque TOUR DE X (TUE, 12 juin 2024, T-604/22). Les deux arguments avancés, à savoir le risque de confusion et l’atteinte à la renommée de la marque, étaient rejetés. Il considérait que le seul élément commun aux deux marques « TOUR DE » n’était pas distinctif ou alors faiblement. Il était donc peu probable que le consommateur établisse un lien entre les deux marques.
Vers une reconnaissance de la protection de la marque TOUR DE FRANCE
TOUR DE FRANCE A LA RAME n’est donc pas la première marque à se retrouver face au géant du cyclisme. Déposée le 26 octobre 2016 par un particulier pour désigner des produits et services en classes 9, 12, 39 et 41, elle fait l’objet d’une action en annulation introduite le 24 juillet 2017 par la SOCIÉTÉ DU TOUR DE FRANCE (STF) et son licencié la société AMAURY SPORT ORGANISATION (ASO).
Les sociétés STF et ASO se fondaient sur la marque verbale française TOUR DE FRANCE n° 1368310, considérant que TOUR DE FRANCE A LA RAME engendrait un risque de confusion et portait atteinte à la renommée de la marque sportive.
Par son arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation censure l’arrêt du 5 juillet 2023 de la cour d’appel de Paris (précité) qui avait rejeté les demandes de STF et ASO.
L’appréciation de la renommée et son intensité
Comme précédemment mentionné, la cour d’appel ne reconnaissait la renommée de la marque TOUR DE FRANCE que pour l’organisation d’épreuves cyclistes et non pour les autres services de la classe 41.
Elle retenait pourtant une renommée exceptionnelle en relevant que la marque avait été déposée en 1977, que l’évènement désigné s’était déroulé tous les ans depuis 1903, avec une retransmission télévisuelle, qu’il était qualifié de « troisième évènement sportif mondial » par une encyclopédie en ligne, et des taux de notoriété très élevés selon des études de plusieurs pays. Une renommée telle qu’elle était donc connue de la quasi-totalité du public français.
La Cour doit alors rappeler les principes posés par la Cour de Justice de l’Union Européenne sur les marques bénéficiant d’une renommée exceptionnelle et notamment la prise en compte de « l’intensité de la renommée de la marque antérieure, afin de déterminer si cette renommée s’étend au-delà du public visé par cette marque (CJUE 27 nov. 2008, Intel Corporation, aff. C-252/07) ».
La renommée de la marque TOUR DE FRANCE ne devait donc pas être cantonnée au public concerné par les produits ou services pour lesquels la renommée était acquise, à savoir seulement l’organisation d’épreuves cyclistes.
L’appréciation du risque de confusion
Sur l’appréciation de la similitude entre les marques TOUR DE FRANCE et TOUR DE FRANCE A LA RAME, la cour de cassation doit là aussi rappeler la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
La cour d’appel avait retenu une faible similarité entre les signes. Elle jugeait notamment sur le plan conceptuel que les deux signes « ont en commun l’évocation géographique du tour du territoire français, mais se distinguent par le fait que la marque antérieure est renommée pour une course cycliste de sorte que TOUR DE FRANCE sera perçu par le public visé comme un tour de France en vélo, alors que la marque incriminée TOUR DE FRANCE A LA RAME évoque un périple effectué en bateau à rames ».
Or, classiquement, l’appréciation de la similitude entre des signes implique de les comparer sur les plans visuels, phonétiques et conceptuels, eu égard à leurs qualités intrinsèques, sans tenir compte des conditions de commercialisation des produits ou des services qu’ils désignent (CJUE, 4 mars 2020, EUIPO/Equivalenza Manufactory, C-328/18P).
La Cour de cassation censure donc la cour d’appel considérant qu’elle avait pris en compte les conditions d’exploitation de la marque TOUR DE FRANCE au stade de la comparaison des signes.
L’appréciation du risque de dilution
Un dernier apport est fait par la cour de cassation qui précise l’appréciation du risque de dilution d’une marque jouissant d’une renommée exceptionnelle.
La cour d’appel avait en effet considéré qu’il n’existait pas de risque de dilution dès lors que la protection attachée à la marque TOUR DE FRANCE ne pouvait pas faire obstacle à l’utilisation de l’expression « tour de France » dans son acception usuelle, et ce à l’instar d’ailleurs de certaines décisions plus anciennes citées précédemment.
Mais la Cour la censure à nouveau considérant qu’il fallait rechercher s’il n’y avait pas un « risque de brouillage en affaiblissant le rattachement opéré par le public et les médias avec ladite marque et en amenant ces derniers à penser que ces termes sont génériques ».
Cette décision de la cour de cassation démontre qu’en appliquant classiquement les critères de la Cour de Justice de l’Union Européenne, la renommée exceptionnelle de la marque TOUR DE FRANCE doit être retenue et par conséquent l’appréciation des atteintes à sa renommée plus sévère.
Il s’agit d’une victoire certaine pour le célèbre événement sportif, mais est-ce véritablement la fin d’un cycle où va-t-on repartir pour un tour ? La décision à intervenir de la cour de renvoi nous le dira.
Article publié sur Blip, le blog du CEIPI.

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