Les consommateurs disposent-ils d’un droit de rétractation sur les foires d’art ?

Alors que Paris+ se termine, l’ouverture de FAB Paris est imminente. Les foires et les salons sont des pièces maîtresses du marché de l’art : tout y est conçu pour convaincre les collectionneurs d’acheter vite. Un arrêt récent éclaire la question de l’application du droit de la consommation à de tels achats. Les collectionneurs, qui sont également des consommateurs, peuvent-ils faire valoir un droit de rétractation ?

Le droit français dispense les foires du droit de rétractation

Le champ d’application du droit de rétractation varie selon que l’on qualifie le lieu de vente d’établissement commercial ou non, entraînant ainsi des différences dans la protection du consommateur et les obligations du vendeur.

Galeries d’art et boutiques d’antiquaires constituent évidemment des établissements destinés à la commercialisation. Le consentement du consommateur à l’achat est présumé y être parfaitement libre et donné en connaissance de cause. Le droit de rétractation n’a pas vocation à s’y exercer, même si les professionnels peuvent offrir à leurs client la possibilité contractuelle de se rétracter (Article 1122 Code civil).

En revanche, les contrats conclus à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou « hors établissement », entre un professionnel et un consommateur, ouvrent un droit de rétractation de quatorze jours au bénéfice du consommateur, sans qu’il ait à motiver sa décision. Le critère déterminant du contrat hors établissement est la conclusion du contrat hors du lieu où le professionnel exerce habituellement ou en permanence son activité (Articles L. 221-1 et 221-18 du Code de la consommation). Qu’en est-il d’une foire ?

Aujourd’hui, le droit de rétractation est exclu pour les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur lors d’une foire, d’un salon ou de toute manifestation commerciale, à condition de respecter un certain formalisme. D’une part, l’absence de droit de rétractation doit être clairement affichée sur un panneau et sur le contrat ; d’autre part, l’exposant doit fournir une information précontractuelle adéquate au consommateur (Article L. 224-59 du Code de la consommation). En pratique, cette information est rarement fournie dans ces lieux.

Par exception, lorsque la vente d’une œuvre d’art est accompagnée d’une offre de crédit affecté pour financer cet achat, le contrat de vente doit clairement indiquer que l’acheteur dispose d’un droit de rétractation pour le crédit affecté. La conclusion de la vente et la souscription du crédit constituent une opération commerciale unique. Par conséquent, l’exercice du droit de rétractation sur le crédit, emporte annulation du contrat de vente (articles L. 311-1 ; L.312-52 et L. 224-62 Code de la consommation). Les offres d’achat d’art en leasing, fréquentes sur les foires d’art, devraient donc respecter ces dispositions.

Le droit communautaire plus protecteur pour le consommateur

Mais le droit français pourrait ne pas être conforme au droit communautaire. En effet, ce dernier n’exclut pas les foires et les salons du régime des contrats hors établissement. Certes, il considère qu’un stand tenu sur une foire quelque jours par an peut être assimilé à un établissement commercial si au regard de faits (des biens y sont proposés à la vente, une information est donnée sur la nature commerciale du stand…), un consommateur peut s’attendre à ce que le professionnel y exerce une activité professionnelle et le sollicite.

En revanche, le droit de rétractation s’applique si le consommateur :

  • a été sollicité par le professionnel « personnellement et individuellement » en dehors du stand, comme, par exemple, une allée d’un hall d’exposition de foire et
  • s’il signe le contrat immédiatement après, à l’intérieur du stand (CJUE 17 déc. 2019 c-465/19, Verbr/aucherzentrale Berlin).

Ainsi, les circonstances pratiques de la conclusion de la vente peuvent conduire à requalifier un contrat formellement conclu dans un établissement commercial, en contrat hors établissement. Vendre un tableau sur un stand ne poserait pas de problème, tandis que négocier son prix au bar de la foire est risqué… Voilà qui paraît bien compliqué et pose évidemment la problématique de la preuve des circonstances de conclusion du contrat.

Évolutions ?

La jurisprudence pourrait donc faire évoluer la situation. Un collectionneur/consommateur déçu finira-t-il par contester son achat en reprochant un défaut d’information lors d’une foire ou en invoquant le droit communautaire ? Déjà un arrêt du 25 mai dernier traite du cas, particulier, des contrats conclus après une foire ou un salon d’art (Cour d’appel, Dijon, 2e chambre civile, 25 Mai 2023 – n° 21/01013).

Un acheteur avait repéré une œuvre lors d’un salon d’antiquaires, puis contacté par téléphone le marchand exposant, pour négocier le prix. Le vendeur a ensuite livré l’œuvre au domicile de l’acquéreur. Constatant des défauts sur l’œuvre, l’acquéreur s’est rétracté. La cour statue que la vente relevait des contrats conclus « hors établissement », car elle avait été finalisée en présence physique des parties, en dehors du lieu habituel d’exercice du professionnel. Il importe donc peu que l’acheteur ait repéré l’œuvre dans un salon d’art et que ce soit lui qui ait contacté le vendeur. Ce qui compte est que le lieu de conclusion du contrat n’était ni la galerie, ni le stand lors d’une foire. Il faut donc être prudent car les contacts noués lors de salons peuvent aboutir à des ventes hors établissement.

La loi va-t-elle évoluer ? De manière récurrente, des propositions de lois visent à soumettre les accords conclus dans les foires et les salons aux dispositions des contrats conclus hors établissement, afin de mieux protéger les consommateurs (Propositions de loi AN n°2000, 5 juin 2019 ; Sénat n°235 du 30 novembre 2021 ; AN n°455 du 15 novembre 2022). Seront-elles votées ?

L’application du droit de la consommation aux foires et salons d’art pourrait donc se métamorphoser. Cette règlementation est-elle adaptée aux spécificités de ce marché ?

Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°605 en novembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charlotte Scetbon, élève avocate