La parodie d’une oeuvre d’art, entre droit d’auteur et liberté d’expression

SUJET : DROIT DE L’ARTDROIT D’AUTEUROn peut parodier le symbole de la République. Une affaire récente permet de faire le point sur la parodie des oeuvres d’art. La reproduction d’une œuvre d’art divulguée est en principe interdite. Toutefois, elle peut bénéficier de l’exception de parodie, qui découle de la liberté d’expression, pour échapper à la contrefaçon. Aucune atteinte disproportionnée aux droits d’auteur n’est retenue : la tête du buste de Marianne, mise en scène dans l’eau, illustre de manière humoristique les propos sérieux du journaliste.

Contexte de l’affaire

Aslan, bien connu des salles de ventes pour ses dessins licencieux, est également un sculpteur officiel : il est l’auteur du buste de Marianne, symbole républicain, réalisé en 1968 sous les traits de Brigitte Bardot.

En 2014, le magazine Le Point a repris une partie du buste républicain immergé pour réaliser un photomontage en couverture, dans un numéro consacré à la « France qui coule ».

La veuve de l’artiste assigne le magazine en contrefaçon. Après avoir été déboutée en appel, elle porte l’affaire devant la Cour de cassation. La première chambre civile rejette ses prétentions le 22 mai 2019 et retient l’exception de parodie.

Qu’est-ce qu’une parodie?

En principe, la reproduction sans autorisation d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur constitue une contrefaçon.

Toutefois, l’article L 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre« . L’exception de parodie permet d’échapper à la contrefaçon. L’auteur doit en effet accepter certaines atteintes à son oeuvre au nom de l’humour et de la liberté d’expression.

Aucune définition légale du terme « parodie » n’existe dans les textes français ou européens. Les tribunaux ont donc établi leur propre conception de la parodie, dont l’arrêt de cassation est la parfaite illustration.

Quelles conditions pour l’exception de parodie?

Évidemment la copie servile est interdite. Ainsi, la reproduction de ce même buste par un parti politique a été sanctionnée et a permis à la veuve d’Aslan de percevoir 65 000 euros de dommages et intérêts (cour d’appel de Versailles, 26/03/2019 RG 17/07461).

Pour apprécier la parodie, la cour de cassation s’appuie sur l’arrêt DECKMYN de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 3 septembre 2014. Dans cette affaire, une couverture de bandes dessinées avait été modifiée pour illustrer le calendrier d’un parti politique belge. Interprétant la Directive 2001/29/CE relative à l’harmonisation de certains droits d’auteur, la cour europénne précisait la notion de parodie :

  • la parodie est une notion autonome du droit européen qui doit donc être interprétée de manière uniforme dans tous les pays;

  • la parodie n’implique aucune obligation du respect du droit à la paternité de l’oeuvre originelle;

  • la parodie ne nécessite pas de créer une nouvelle oeuvre originale.

La haute juridiction française complète les conditions de l’exception de parodie : l’oeuvre seconde doit (i) revêtir un caractère humoristique, (ii) éviter tout risque de confusion avec l’oeuvre initiale et (iii) ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits légitimes de l’auteur.

En l’espèce, par une analyse concrète de l’oeuvre, elle constate l’absence de risque de confusion : (« le photomontage incriminé qui reproduit partiellement l’oeuvre en y adjoignant des éléments propres ne génère aucune confusion avec l’oeuvre« ) et le caractère humoristique (« la reproduction partielle du buste de Marianne, immergé, constituait une métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République, destiné à illustrer le propos de l’article, peu important le caractère sérieux de celui-ci« ).

La parodie est un des moyens d’exprimer une opinion, fondement de la liberté d’expression. Les juges du fond doivent trouver le juste équilibre entre respect des droits d’auteur et libertés fondamentales.

Cet arrêt reconnaît d’ailleurs la parodie alors même que le sujet de l’article est sérieux. Dans d’autres affaires, comme celle de « Che Guevara was a gamer », les juges du fond avaient retenu la parodie en raison d’une vocation humoristique (cour d’appel de Versailles, 7 septembre 2018). A contrario, la cour d’appel de Paris, dans l’affaire Klasen avait rejeté l’exception de parodie expliquant que la parodie doit concerner l’oeuvre elle-même et non son incorporation avec d’autres éléments au sein d’une œuvre de critique sociale. Elle ne s’était malheureusement pas intéressée à l’élément intentionnel de la parodie, qui n’était pas l’humour mais la dénonciation de la société (cour d’appel de Paris, 18 septembre 2018).

L’appréciation du caractère parodique de la reproduction d’une oeuvre d’art suppose donc une analyse, juridique et factuelle, au cas par cas, particulièrement sensible.

avocat propriete intellectuelle

Olivier de Baecque
avocat droit de l’art

 

Olivier de Baecque, avocat associé du Cabinet De Baecque, Fauré, Bellec

Avocat Propriété Intellectuelle

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Tél. + 33 (0) 1 53 29 90 00

 

 

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