Quel est le cadre contractuel d’une relation artiste galerie ?

Les intérêts de la galerie et de l’artiste qu’elle représente sont intrinsèquement liés : la montée de la cote de l’artiste est l’intérêt des deux. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 janvier 2024 revient sur les conditions permettant de qualifier le contrat entre un artiste et une galerie en « mandat d’intérêt commun », ainsi que les conséquences d’une telle qualification en cas de rupture du contrat.

Des binômes emblématiques tels que Marc Chagall et Aimé Maeght, Pablo Picasso et Daniel-Henry Kahnweiler, Pierre-Auguste Renoir et Paul Durand-Ruel… témoignent de collaborations artiste-galerie fructueuses et durables. Ces relations contractuelles, basées sur la confiance et l’intuitu personae, ne sont pas toujours formalisées par un écrit, ou le sont parfois de manière elliptiques ou imprécises.

Ce manque de formalisme dessert tant le galeriste que l’artiste, qui devront justifier, en cas de litige, du contenu du contrat et de leur commune intention, laissés à l’appréciation des juges.

En l’espèce, un artiste avait signé un contrat avec une galerie, intitulé « contrat de mise en dépôt d’œuvres d’art », pour une durée indéterminée. En vertu de ce contrat, la galerie avait l’obligation de (i) conserver les œuvres de l’artiste, mais également (ii) de les mettre en vente, et (iii) de les promouvoir.

Après cinq ans de collaboration, l’artiste a adressé un courrier informant la galerie qu’il ne souhaitait plus que celle-ci réalise l’exposition personnelle, prévue le mois suivant, qu’il entendait rompre la collaboration, et récupérer l’ensemble de ses toiles en stock. La galerie, considérant fautive et brutale la rupture de leur collaboration, a assigné l’artiste en indemnisation de ses préjudices.

L’arrêt de la Cour d’appel est particulièrement intéressant en ce qu’il souligne les critères permettant de requalifier la relation artiste/galerie en mandat d’intérêt commun, et les règles applicables en cas de rupture d’un tel mandat.

La requalification d’un mandat de dépôt simple en mandat d’intérêt commun

Certains contrats ponctuels, tels que le contrat de location de cimaises, contrat d’achat en vue de revendre, ou contrat de dépôt simple, n’engagent pas le galeriste et l’artiste dans la durée. Mais lorsque l’artiste et la galerie envisagent une collaboration à moyen ou long terme, afin de favoriser la croissance et le maintien de la cote de l’artiste, le développement d’une clientèle commune, et, in fine, la vente des œuvres, cela relève de l’intérêt des deux parties.

Le « Code de déontologie des galeries d’art » rédigé par le Comité professionnel des galeries d’art souligne que : « Par principe, l’artiste et la galerie sont liés par un contrat, oral ou écrit, exécuté de bonne foi, qui induit un mandat de vente, une responsabilité face aux œuvres et des modalités financières ». La jurisprudence constante retient que la relation s’analyse dans ce contexte en un « mandat d’intérêt commun », puisque la réalisation de l’objet du mandat, promouvoir l’artiste, vendre, développer une clientèle de collectionneurs, est à la fois dans l’intérêt du mandant (l’artiste) et du mandataire (le galeriste).

En l’espèce, le contrat entre l’artiste et la galerie, intitulé « contrat de mise en dépôt d’œuvres d’art », a été requalifié par les juges en « mandat d’intérêt commun », en raison d’éléments caractérisant la communauté d’intérêts des parties. Dans l’hypothèse d’un simple mandat de dépôt, la galerie aurait seulement reçu les œuvres, en ayant la charge de les garder et de les restituer en nature. Or, le contrat liant l’artiste et la galerie, à durée indéterminée, prévoyait également une obligation de les vendre et de les mettre en valeur, et le versement d’une commission en cas de vente. Partant, les règles spécifiques du mandat d’intérêt commun s’appliquaient à la relation contractuelle.

Les conséquences de la rupture du mandat d’intérêt commun

La grande spécificité du mandat d’intérêt commun est de ne pouvoir être révoqué sans motif légitime ou préavis (à l’inverse du mandat classique qui est révocable à tout moment). De jurisprudence constante, lorsque le mandat d’intérêt commun est à durée indéterminée, une révocation non justifiée (par une faute ou la force majeure), ou sans préavis raisonnable, proportionnel à la durée de la relation, donne droit à des dommages et intérêts.

Le délai du préavis ayant en principe vocation à permettre aux parties de faire les comptes et de s’organiser pour l’avenir. Par exemple, l’absence de promotion par une galerie d’un artiste pendant plusieurs années, et le non-respect des obligations de rendre compte de l’intégralité des transactions peut justifier la révocation du mandat sans préavis.

Que la rupture soit ou non fautive, lorsque l’artiste met fin au mandat d’intérêt commun, la galerie, qui est mandataire de l’artiste, est tenue de l’obligation de restitution immédiate des œuvres en dépôt.

En l’espèce, le tribunal judiciaire et la Cour d’appel de Paris n’ont pas considéré que la galerie avait commis des manquements ou fautes rendant impossible le maintien du contrat, et justifiant de la rupture du mandat sans préavis. Par conséquent, la rupture, par l’artiste, sans préavis raisonnable du mandat d’intérêt commun, à un mois de l’exposition personnelle prévue par la galerie, a été considérée fautive et abusive. L’artiste a été condamné à indemniser la galerie des préjudices résultant de la rupture sans préavis (perte de chance de vendre les œuvres lors de l’exposition personnelle, désorganisation des relations avec la clientèle de la galerie).

Cela étant, la galerie a également manqué à ses obligations à la suite de la rupture du mandat, en restituant les œuvres en stock presque deux ans après la rupture du mandat, alors qu’elle était tenue à leur restitution immédiate. La galerie est condamnée au titre de la perte de chance pour l’artiste de les vendre, résultant de leur indisponibilité prolongée.

Cette décision, en rappelant les règles applicables dans le cadre du mandat d’intérêt commun artiste-galerie, met en lumière l’importance pour ces acteurs du marché de l’art de formaliser clairement par contrat leur relation. Ce formalisme, parfois perçu comme une contrainte, permet au contraire de fluidifier les échanges, et d’anticiper les éventuelles difficultés.

Cet article est paru dans la revue « L’Objet d’art » n°610 en avril 2024

Et
Charlotte Scetbon
Avocate