La reproduction de marques dans les œuvres picturales

Une marque est un signe au service des entreprises commerciales visant à distinguer leurs produits et services de ceux des concurrents. Dès le début du XIXe siècle, des peintres se sont emparés de ces symboles mercantiles pour les intégrer à leur œuvre. Du statut de simples signes, distinctifs, d’un lieu ou d’un groupe social contribuant au réalisme de l’œuvre, les marques sont aussi devenues des sujets d’inspiration à part entière. La licéité de la reproduction de marques dans les oeuvres picturales pose question.

L’œuvre d’Andy Warhol, « Campbell’s Soup Cans », créée en 1962 et exposée à la galerie Ferus de New York en est une illustration emblématique. Cette figure du pop’art détourne la marque Campbell’s, de la multinationale agroalimentaire éponyme, en reproduisant trente-deux posters de variétés de soupe en conserve différentes. La marque peinte est alors un moyen pour l’artiste d’introduire le réel et la consommation de masse dans l’Art. Pour d’autres, c’est aussi une manière d’exprimer un message politique, une opinion, parfois de critiquer une marque spécifique, à l’instar du street-artiste EZK et de son œuvre « Dans quel monde VUITTON ? » de 2017.

Les marques sont pourtant des titres de propriété industrielle protégés, ce qui questionne la licéité de leur usage dans un contexte artistique. Les conflits potentiels pouvant en résulter se résolvent par la confrontation de deux droits fondamentaux que sont le droit de propriété sur une marque, et la liberté d’expression artistique.

En principe, « la création artistique est libre » (loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine). Cependant, comme toute liberté, la liberté d’expression artistique n’est pas absolue et s’exerce dans les limites administratives, pénales et civiles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public, la vie en société et les droits d’autrui.

La faiblesse du droit des marques face à l’usage artistique de signes distinctifs

La propriété industrielle permet au titulaire de la marque d’autoriser sa reproduction aux moyens de contrats de licence ou de cession de droits mais aussi celle de faire sanctionner son usage illicite au titre de la contrefaçon. Pour autant, ce monopole d’exploitation n’est pas inconditionnel et le titulaire d’une marque ne peut autoriser ou interdire l’usage de celle-ci par un tiers, qu’en présence d’un « usage dans la vie des affaires » et d’une utilisation entrainant un risque de confusion avec la marque.

Or, la vocation première d’une œuvre artistique n’est pas d’accompagner ou de promouvoir l’offre de produits ou de services auprès des consommateurs ; elle est d’abord artistique et donc généralement sans finalité commerciale ou publicitaire. De plus, une œuvre d’art et un produit au sens du droit des marques, ne relèvent pas des mêmes circuits économiques. De ce fait, les consommateurs peuvent difficilement confondre l’origine d’une œuvre avec un produit identifié sous une marque ou établir un lien économique entre l’artiste et le propriétaire de la marque. Ainsi, personne n’a jamais pensé que les tableaux de Wharol étaient vendus par Campbell’s Soup Company.

Dès lors, le droit des marques ne peut se concevoir comme une limite efficace à la libre utilisation artistique de signes protégés. Un artiste peut donc a priori intégrer une marque au sein de son œuvre picturale, sans autorisation préalable. Pour autant, son impunité en la matière n’est pas absolue.

Les limites au libre usage artistique de signes distinctifs

La caricature est tolérée en droit des marques car elle relève de la liberté d’expression. Un artiste peut ainsi parodier une marque dès lors qu’il ne peut y avoir de confusion entre la réalité et l’œuvre satirique (Cass. ass. plen., 12 juillet 2020, n°99-19.004).

Cette liberté humoristique s’arrête cependant là où commence le dénigrement. Un artiste ne peut représenter la marque d’un tiers de manière particulièrement dévalorisante au point de générer une image négative auprès du public et de le détourner des produits ou services désignés par la marque.

Cet usage est susceptible de constituer une faute préjudiciable au titulaire de la marque, lequel pourra agir non pas sur le fondement du droit des marques mais sur celui de la responsabilité civile délictuelle de droit commun. Les décisions sont rares et concernent plutôt des associations à but non lucratif que des artistes. La jurisprudence est majoritairement en faveur de la liberté d’expression.

En ce sens, le détournement de la marque Camel par une association anti-tabac, à l’occasion d’une campagne de prévention, n’a pas été considéré comme abusif car l’association agissait conformément à son objet, dans un but de santé publique et en utilisant des moyens proportionnés à cet objectif (Cass. Civ., 2ème 19 octobre 2006, n°05-13.480).

De même, l’utilisation de la marque Esso dans le cadre de la campagne de Greenpeace destinée à informer les citoyens sur les obstacles de la mise en œuvre du protocole de Kyoto, relevait, selon les juges, d’un usage purement polémique, protégé par la liberté d’expression, en dépit de la renommée de la marque (Cass. Civ., 1ère, 8 avril 2008, n°07-11.251).

La protection accrue de la liberté d’expression par la Cour Européenne des Droits de l’Homme laisse penser qu’il sera difficile de limiter de telles références à des marques. Un artiste bénéficiera probablement de cette forte tolérance.

Une exception existe cependant si la marque reproduite est en outre protégée par des droits d’auteur. Une marque peut être un simple terme composé d’une succession de lettres et/ou de chiffres/symboles mais elle peut aussi être figurative et reposer sur une œuvre originale au sens du droit d’auteur. Dans cette hypothèse, l’artiste reproduit alors une œuvre préexistante qui nécessite l’autorisation préalable de son auteur, dès lors que le logo emprunté est original, c’est-à-dire « empreint de la personnalité de l’auteur ». Il peut ainsi envisager une action en contrefaçon de droit d’auteur. Dans ce contexte, le droit d’auteur est moins permissif que le droit des marques.

Du point de vue du titulaire de la marque, le droit d’auteur apparaît donc comme une voie possible pour palier l’impuissance du droit des marques face à l’utilisation artistique des signes distinctifs.

Il n’est cependant pas suffisant pour interdire de tels usages qui sont nécessaires à la liberté d’expression et au pluralisme des idées.

 

Olivier De Baecque avocat droit de l'art

Olivier DE BAECQUE, avocat associé 

Avocat droit de l’art

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Marion Abergel avocat au cabinet DE BAECQUE BELLEC

Marion ABERGEL, collaboratrice 

 

 

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